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le thème de manœuvre si souvent répété à Stainviile, Ce fossé, — amoncellement de terre, de pierres et de grillages — ne doit pas être franchi. Il sait que ce sera la mission du bataillon Nicolaÿ, ainsi encadré par les compagnies du bataillon Croll qui s’ouvriront pour couvrir ses flancs et dépasser l’obstacle. Il se retourne : le bataillon Nicolaÿ n’est pas là. Il sait encore qu’il est chargé d’observer en avant. Que verra-t-il, s’il ne grimpe pas sur cette masse ? Il sait aussi que le fossé doit être flanqué de mitrailleuses, que le fort est peut-être miné. Qu’importe ! Par un éboulis il se laisse glisser avec ses hommes. Les cœurs battent fort dans les poitrines. Le fossé est vide et muet. Les marsouins montent sur le fort. Ils passeront dessus.

Ils n’y sont pas venus les premiers. Une poignée de biffins a devancé les coloniaux. La gauche de la division Passaga est formée par le groupement du commandant Mégemond qui comprend les 19e et 23e compagnies du 321e régiment et la 5e compagnie de mitrailleurs. Il a pour mission de s’emparer d’un ouvrage, la batterie, à l’Est du fort, et de donner la main au bataillon Croll en avant de Douaumont. Quand il arrive à la batterie, il ne voit pas le bataillon Croll. Va-t-on laisser le fort échapper ? Se conformant aux ordres du lieutenant Rambaud qui commande la 23e compagnie, le sous-lieutenant Leseux laisse le gros de sa section aux abords immédiats du fossé qu’il abordait par le Sud-Est et avec trois de ses hommes, le fusilier mitrailleur Jayr et les grenadiers Dumont et Meydon, il franchit le fossé aux trois quarts comblé et met le pied sur l’observatoire et la petite tourelle à l’Est. Avec quelques autres hommes, dont le caporal Laly et le fusilier Jullien, il capture un sous-officier allemand et sept hommes, tandis que Jayr ouvre le feu sur un créneau de mitrailleuse pratiqué à la petite tourelle de l’observatoire. Peut-être est-ce donner l’alarme à l’ennemi avant d’être en force. Mais la petite troupe ne quitte ces lieux fameux où elle est rentrée la première que lorsqu’elle aperçoit les premiers élémens du bataillon colonial.

La patrouille du caporal Barranger fait partie de la compagnie Dorey. Le capitaine Dorey prend l’initiative de franchir le fort au lieu de le contourner, afin de profiter de l’ahurissement de l’ennemi, tout en gardant la liaison avec les unités voisines. Le mouvement s’exécute en ordre, malgré le chaos du terrain. Sa compagnie traverse la superstructure effroyablement bouleversée