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et choisi, — me dit-on, — pour me faire honneur ; les six mariées de Lembet avaient noué à leur couronne virginale d’immenses rubans tricolores, tels qu’on en voit sur les chapeaux de nos conscrits !...


Et je ne trouvai pas cela si ridicule !


Je le trouvai même assez touchant, et je voulus complimenter les six mariées qui avaient osé cette innovation, accordant ainsi la coquetterie, la politesse, et la politique.

Le lendemain, les journaux de Salonique racontèrent la cérémonie de Lembet, et des reporters mal informés racontèrent gravement que les jeunes épouses, animées du plus ardent sentiment francophile, s’étaient alignées en face de moi, et, soudain soulevant à demi leurs robes blanches, avaient montré, d’un geste hardi mais décent, « des dessous de soie tricolore (sic). » Vainement, je voulus rétablir la vérité. La légende subsista, et peut-être quelque faiseur d’opérettes la découvrira-t-il un jour, et mettra-t-il en couplets l’histoire des six mariées tricolores !


Quelques jours plus tard, il fut question encore de cette fête, dans une maison amie où je vais souvent passer une heure, à la fin de l’après-midi. Cette maison, située rue Bulgaroctone, appartient au consul de Belgique, M. Cuypers, directeur de la Compagnie des Eaux, établi depuis vingt ou vingt-cinq ans en Macédoine. Malgré la présence des cavass en costume albanais, on respire, dès l’entrée, je ne sais quel charme flamand, fait de quiétude et de bonhomie. Les meubles et les boiseries sont de chêne luisant. Des faïences de Delft ornent la salle à manger où, sur la table chargée de friandises, fume le café au lait national, un café au lait comme il n’en existe point dans les pâtisseries saloniciennes. Ce petit coin de Belgique est tout à fait charmant et l’on y trouve l’accueil le plus cordial.

Ce jour-là, autour du café au lait de Mme Cuypers, il y avait beaucoup de gens, fort variés, comme il est inévitable : le ministre de Belgique à Belgrade, deux jeunes filles grecques aux jolis yeux bleus, un capitaine de vaisseau italien, un colonel serbe, un officier anglais, un médecin de la marine et deux aviateurs français. C’est un raccourci de la société salonicienne en 1917. A ce tableau il manquait un élément nécessaire,