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c’est-à-dire un Grec. Le Grec parut enfin sous la forme d’un lieutenant de la gendarmerie crétoise, Crétois lui-même comme Minos, et si fier de l’être que j’en fus informée aussitôt. La Crète a toutes mes sympathies, car c’est un pays qui ne s’est jamais résigné à la servitude. Les Turcs n’ont pu le turquiser ; les Boches ne l’ « embocheront » point. Si la Grèce moderne ne pense qu’aux bonnes affaires dans une paix sans fierté, la Crète, sauvage encore, pauvre et turbulente, ne craint pas l’odeur de la poudre. Elle a donné de bons officiers à l’armée hellénique, et une gendarmerie qu’on dit excellente. Et puis, elle a donné Venizelos, grand homme d’Etat, honnête homme, le plus loyal des Grecs, mais non pas le moins subtil, qui paraît en ce moment s’égarer dans le dédale diplomatique, et qui en sortira, en dépit de tout, par quelque porte imprévue...

L’officier crétois avait lu le récit de ma visite à Lembet. Il me déclara que je n’y avais rien vu qui fut digne d’être appelé une « danse » et qu’il voulait me montrer la plus belle chose du monde, c’est-à-dire les soldats crétois, dansant les vingt-trois danses des vingt-trois provinces de Crète, au son des flûtes et des lyres, près du frais ruisseau qu’ombragent des platanes séculaires, cependant que les agneaux rôtissent, embrochés sur des pieux.

J’ai beau me méfier des réminiscences poétiques qui réveillent en toute âme française un philhellénisme parfois inopportun, l’occasion était trop séduisante de revenir à mes premières amours. J’ai adoré la Grèce antique, la Grèce qui peut-être n’a jamais existé sous la forme que je lui prête, mais qui est réelle et vraie, et vivante pour ceux qui l’identifient avec sa poésie éternelle et ses arts inégalés. Je me souviens d’un jardin et d’un figuier aux branches basses, aux larges feuilles douces qui cachaient des fruits bleus, riches de sucre et plus parfumés que le miel. Toute petite fille, je m’installais dans la fourche du vieil arbre et je lisais une traduction de l’Odyssée, assez médiocre, un volume fatigué, dont la reliure rouge portait une inscription dédorée : « Lycée impérial de Périgueux. » Je l’ai conservé à travers tous les hasards de ma vie, ce précieux volume, et quand je suis allée en Grèce, pour la première fois, j’ai tenu à l’emporter et à relire certaines pages dans la glorieuse lumière grecque et sous des figuiers attiques. Mais cette