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et des îles, les exercices d’alerte en cas de torpillage, les longues heures passées en compagnie préventive des ceintures de liège, la recherche anxieuse des périscopes sur les flots qui brillent comme un métal en fusion, les relens d’écuries, de latrines et d’eaux grasses qui vicient l’air jusque dans les cabines les mieux closes, achèvent d’exaspérer les rancunes de potaches, les déceptions de touristes, les regrets de gens de guerre transportés loin de la patrie envahie. Mais la résignation et l’indulgence rendent bientôt la sérénité aux âmes, quand l’inoubliable décor de la baie de Salonique apparaît au loin dans la brume légère, se précise en se rapprochant, et se fixe enfin devant les yeux éblouis.

Salonique ! De la ville, rien à noter après les brillans écrivains qui, dans cette Revue même, ont décrit son exotisme frelaté : c’est un Port-Saïd mal tenu, un Casablanca devenu grande ville, où se perçoit aussitôt l’impression du déjà vu. Le personnel combattant que la France expédie sur le front macédonien doit s’en tenir à cette impression superficielle, car il n’a pas le loisir de pénétrer dans les mystères psychologiques, topographiques et historiques de la vieille cité qu’évangélisa saint Paul. C’est au camp de Zeitenlik, à quelques kilomètres de la ville, que les régimens vont s’organiser en quelques jours et s’adapter aux exigences, nouvelles pour eux, de la guerre en montagne et de la guerre de mouvement. Ils doivent laisser les impedimenta divers que les chefs de corps croyaient pouvoir utiliser en Orient et que, grâce à l’imprécision des circulaires, on avait adroitement amenés de France au prix d’habiles subterfuges et d’astucieuses discussions. Voitures médicales, caisses encombrantes d’archives et de matériel, véhicules bizarres en marge de la dotation réglementaire et glanés un peu partout dans les cantonnemens de Lorraine, de Champagne et de Picardie : « Non, non ! vous ne pouvez conserver tout ce bazar ! Pendant l’hiver, les routes de la plaine sont impraticables et, en toute saison, les pistes de la montagne ne sont accessibles qu’aux mulets. Versez, versez tout votre matériel à l’artillerie et restez-en aux moyens de transport qu’on va vous donner. »

Il faut s’exécuter, non sans regrets. J’ai cependant vu, défraîchi, mais encore fringant, dans les lacs de boue qui environnent Monastir, un omnibus à glaces qu’un régiment colonial avait réquisitionné pendant la mobilisation pour en faire sa