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Un jour le printemps, tiède et pluvieux, éteignait, dans sa douceur grise, les mauves crus des maisons peintes et les verts encore vifs des jardins mouillés, quand je montai à travers le quartier turc, jusqu’à l’école musulmane. Elle occupe un pauvre bâtiment tout délabré, où elle s’est installée, tant bien que mal et plutôt mal que bien, depuis la dernière guerre, car les nouveaux conquérans l’ont prestement délogée de son ancienne maison. Le sens de la tolérance n’est pas une vertu balkanique.

Le directeur de l’école Feyzié qui porte le costume européen et le fez, me reçoit dans son cabinet de travail orné de cartes géographiques et de tableaux muraux édités en France...

— Excusez la pauvreté de la maison, dit-il en soupirant. Nous avons peine à vivre, car tous les riches musulmans, bienfaiteurs de l’école, ont quitté le pays.

Il me présente ses collaborateurs, jeunes gens au type sémite, au teint pâle, et le plus pittoresque de tous, le professeur de musique turque, respectable vieillard enturbanné.

Je demande quelques indications sur les méthodes et l’esprit de l’enseignement. Le directeur me répond que les méthodes sont analogues à celles des écoles françaises et que l’esprit est conforme à la loi coranique, avec des tendances libérales. Les deunmehs qui se marient entre eux, et chacun dans sa secte particulière, à l’exclusion des deux autres sectes, ne condamnent pas leur femmes à l’ignorance et à la réclusion. Ils permettent qu’elles soient instruites, qu’elles sortent peu ou point voilées, qu’elles connaissent, avant le mariage, le futur époux qui est forcément leur parent plus ou moins lointain.

Nous allons voir les classes, et dans chacune, les élèves qu’on désigne, se lèvent et récitent de longs morceaux de poésie française. L’accent n’est pas aussi pur que dans les écoles de l’Alliance où le français est le langage usuel. Ici l’étude de notre langue est obligatoirement restreinte. Cela me fait apprécier mieux encore le résultat obtenu, qui est véritablement très remarquable. Les jeunes gens comprennent ce qu’ils récitent et ils ont la mémoire richement meublée. J’ai entendu, entre autres, une scène d’Esther, celle où Mardochée annonce à sa nièce les intentions d’Assuérus. L’expression des physionomies, l’accent guttural et nasillard, changeaient l’allure du dialogue