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racinien, lui prêtaient une couleur étrange, un caractère fanatique et forcené, dont l’orientalisme était plus vrai que celui du théâtre, puisqu’il ne devait rien au costume, rien au décor et très peu de chose au poète.

Un peu plus tard, nous avons eu, dans le vestibule de l’école, une séance de chant arabe et turc. Les petits chanteurs, âgés de six à dix ans, se tenaient debout devant le bon vieux maître enturbanné qui battait la mesure.

D’abord, c’est un chœur, à voix tranquilles et dolentes, avec des notes de gorge, et des notes suraiguës qui, soudain, s’élancent et planent comme de claires fusées de sons. Puis un enfant chante seul. Il est grêle, pâle, plutôt laid. Renversant un peu sa tête chétive, il module des vocalises inouïes, d’une pureté, d’une sûreté extraordinaires. Sa voix est presque trop puissante, trop vibrante pour son petit corps, et je pense au rossignol minuscule dont la voix remplit tout la nuit. Entre ces phrases mélodiques, il y a des temps d’arrêt. L’enfant respire, les yeux fixes et fiévreux, la bouche entrouverte et douloureuse, puis il recommence sa plainte tremblée, son cri qui monte et se brise et ressemble à la pénible aspiration vers l’infini d’une âme qui voudrait se libérer.

Deux autres petits chanteurs reprennent, l’un après l’autre, le même thème et le chœur, enfin, confond toutes les voix dans un long murmure à bouche fermée.

Nous entendons encore des prières, des versets arabes du Coran que le chanteur psalmodie après s’être assis sur une chaise, en signe de respect.

Cette musique prolongée éprouve singulièrement mes nerfs. Elle ne les frappe pas, brutalement, comme la musique des Ecossais ; elle n’est pas sauvage : je ne la crois pas primitive ; mais très savante, au contraire, expression d’un art tout différent du nôtre, faite pour d’autres sens, pour d’autres esprits... Sans la comprendre tout à fait, avec une bizarre sensation de jouissance et de répugnance, je subis sa force convulsive qui exalte l’imagination et crée l’extase, comme le tournoiement des derviches.

Après des saints et des cérémonies, et des remerciemens aux maîtres et aux élèves, nous redescendons les rues pour aller à l’écoles des filles, qui est une construction blanche, moderne, en béton armé, totalement dénuée de poésie.

Là, nous retrouvons des petites filles sérieuses et charmantes,