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aussi, nous avions oublié les leçons de l’histoire, l’Année Terrible nous aide à nous convaincre que nous n’assistons pas aujourd’hui à une crise de brutalité allemande que démentirait un long passé d’humanité, mais à une nouvelle explosion d’instincts irrépressibles, irréductibles. On sait les faits. Le 4 septembre, pendant que l’armée prussienne victorieuse marchait sur Paris, la république fut proclamée. Le 5, Victor Hugo, qui était à Bruxelles, prit un train de nuit et à dix heures du soir arrivait à la gare du Nord. Une foule considérable l’y attendait ; il lui dit : « Je viens ici faire mon devoir. Je vous remercie de vos acclamations. Mais je les rapporte toutes à cette grande angoisse, la patrie en danger. » Cependant l’armée allemande avançait : elle était aux portes de Paris le 17 septembre. Ce jour-là Hugo publia un appel « Aux Français. » Ce cri de guerre, on lui demanda d’aller le jeter lui-même par toute la France ; mais il avait promis de partager le sort de Paris : il resta. Il vécut le drame, « l’hiver fameux du grand bombardement. » Par des aubes froides et blêmes, il suivit les bataillons sortant de la ville bloquée, les enfans tenant leur père par la main, les femmes portant sur leurs épaules le fusil de leur mari et le lui rendant, à la minute de l’adieu, « après l’avoir baisé. » Et sous la dictée des événemens, d’août 1870 à juillet 1871, il écrivit heure par heure le journal des tristesses françaises. Beaucoup de ces pages dessinent par touches successives le portrait du Teuton, du féodal raidi dans son antique armure, s’efforçant d’étrangler l’avenir ; elles dégagent le fond intime et l’essence même de la race ; et telle est l’âpre verve du polémiste, restée intacte à soixante-huit ans, qu’on pourrait les croire détachées du livre des Châtimens, dont l’édition parisienne venait précisément de paraître.

Le poète a vu les Allemands tels alors que nous les voyons aujourd’hui. Ce sont les Huns qui reviennent « ainsi qu’au temps de Frédégaire. » Poussés par leurs sept chefs, les sept peuples saxons marchent sur Paris, pour le punir d’être l’idée et la lumière. La guerre qu’ils font n’est pas guerre de chevaliers loyaux, mais d’espions, de larrons et de traîtres. Vainqueurs, ils déshonorent leur victoire par des procédés de reîtres et de soudards. « Exterminons ! » c’est le cri des chefs et des soldats ; et c’est leur idéal de poignarder dans le dos leurs adversaires, de mettre sous leurs bottes la vérité, la