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ceux du Premier Empire, et ceux de 70. Tous ignorent pareillement la faiblesse et la peur. Pieds nus, coudes percés, boueux, de l’eau jusqu’au ventre, sans sommeil et sans vivres, les fantassins de Marceau et de Joubert armés de vieux fusils effacent sous leurs pas les frontières, culbutent les rois éperdus, font rouler les trônes comme des feuilles sèches. A Waterloo, sous un déluge de mitraille, les lanciers et les grenadiers de Napoléon s’avancent à pas lents, calmes, l’arme au bras, musique en tête. A Eylau, cent vingt hommes défendent le cimetière. Ils tiennent pendant douze heures sous la neige, sous les obus, sous l’écroulement du clocher et de l’église, épuisés, sanglans, sublimes. Les Français vont à la mort comme à une fête, la fête du grand sacrifice consenti. Ils ont la bravoure spirituelle, l’héroïsme joyeux, et le rire de Kléber est de même source que la chanson de Gavroche sous les balles. Vainqueurs, ils sont démens. Le général Hugo pardonne au blessé espagnol qu’il s’apprêtait à secourir et dont la balle vient de siffler à son oreille. Ils ne tuent pas pour tuer ni ne se battent pour la conquête. Le principe de leur effort et de leur endurance est de qualité plus haute et plus pure. Ils répondent à l’appel de la patrie en danger ; mais ils entendent aussi les plaintes des nations meurtries ; ils luttent pour défendre leurs libertés, mais aussi pour libérer les peuples opprimés par les tyrans. Ils sont les chevaliers errans non de la légende, mais de l’histoire.


Ce sont les bienfaisans, ce. sont les invincibles...
Ils sont les bienvenus pattout où quelqu’un souffle.


Ainsi Victor Hugo atteste ce que fut la vertu française aux plus tragiques tournans de la vie du pays ; il porte témoignage pour la beauté d’une âme toujours pareille à elle-même et se révélant de pur métal aux heures de suprême péril.


il n’a pas porté sur l’âme allemande un moins décisif témoignage, et c’est d’elle aussi que l’on peut dire qu’elle fut toujours pareille à elle-même. Ici, le poète avait d’abord été dupe et, aux beaux temps du romantisme, il avait partagé l’erreur commune. II s’était attendri sur le compte de la vieille et bonne Allemagne. De cette erreur, qu’attestent des pages fameuses, le spectacle de la tragique réalité l’avait entièrement désabusé. Si nous