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développée, fût-ce à propos de menus problèmes. Le théâtre anglais souffre de la censure ? Il en souffrait, du moins, à la fin du siècle dernier. Patience ! la censure disparaîtra. Elle ne sera pas supprimée du jour au lendemain : ce n’est pas la manière anglaise. Supprimée du jour au lendemain, la censure ? Ce serait une révolution. La manière anglaise a les sages lenteurs de l’évolution. La censure disparaîtra peu à peu, comme l’uniforme si médiéval qui donnait aux gardiens de la Tour, à Londres, un air de mascarade. Un beau jour, les gardiens, sans rien dire à personne, remplacèrent le haut-de-chausses par le pantalon. Et, si l’on trouve que le pantalon si moderne, avec le chaperon, le doublet et la hallebarde, c’est drôle et ce n’est pas joli, patience ! le chaperon s’en ira, le doublet et la hallebarde s’en iront. Peut-être alors le pantalon sera-t-il, à son tour, démodé : le pantalon périra. La censure périra ; mais il y aura toujours une censure, un censeur, le public, c’est-à-dire les délicats, les rigides, voire les tracassiers. Les puritains veilleront, qui sont « l’une des forces de l’âme nationale, une des raisons qu’a l’Angleterre d’être au monde : » les puritains, ennemis du théâtre, ennemis nécessaires, qui ne Lâcheront pas le théâtre anglais. S’ils le lâchaient, « c’est que leur fin serait proche, ou la sienne ; et la fin de l’Angleterre ne serait pas loin. » Voilà ce que signifient les pantalons que promènent à petits pas vigilans les gardiens de la Tour.

Badinage ? Un symbole !... « Depuis vingt ou vingt-cinq ans, — cette préface des Profils anglais est de 1892, — l’Angleterre nous donne le spectacle d’une société qui passe de l’aristocratie à la démocratie sans souffrance, presque sans le savoir, par une lente et pacifique métamorphose des institutions et des mœurs... » En d’autres termes, l’Angleterre est un pays qui sait évoluer. « Là, en effet, est le secret du succès pour les nations. Qui n’est point le serviteur de l’évolution en sera la victime. » Augustin Filon tient à cette idée. Il y revient, quelque vingt ans plus tard, dans son Angleterre d’Edouard VII : « L’esprit anglais n’incline pas, comme le nôtre, à philosopher sur le présent ; il suit l’évolution sans avoir la prétention de la contrôler ou de la diriger : et il ne se trouve pas mal de ce système, autant que je puis voir. »

S’il faut l’avouer, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de principes plus dangereux au monde que celui de l’évolution. Mais, réplique-t-on, ce n’est pas un principe ; c’est une loi de la nature physique et morale. Non : c’est une hypothèse.