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fussent prophétiques : l’erreur et la vérité s’y mêlent et y font ce désordre qui est l’aspect de l’avenir entr’aperçu, mais non pas vu. Filon ne pouvait pas deviner la guerre ; pas plus que Chateaubriand qui, en 1797, épiloguant sur les révolutions de l’humanité, traçait le plan de l’âge attendu, ne devina la survenue imminente de Napoléon, laquelle modifia tout l’avenir. Du moins, Filon fut comme averti d’une catastrophe menaçante, de luttes inconnues, où devait se manifester « une nouvelle race d’hommes. » Et, il n’a pas deviné la guerre ; mais, pour le cas de guerre, le rôle que l’Angleterre assumerait, ne l’a-t-il pas défini, quand il analysait et caractérisait « ce noble génie anglais dont le triomphe est le triomphe même de la conscience ? » Ses livres suffisaient à démentir l’idée sur laquelle l’Allemagne a fondé son abominable espoir, la vieille idée fausse d’une Angleterre égoïste, opulente et que paralysent l’égoïsme et l’opulence.

D’ailleurs, il n’a pas fait un panégyrique de l’Angleterre. Il en a montré les défauts, les travers. Il en a montré les périls. Comment aurait-il étudié Parnell et, à propos de ce personnage étonnant, la question d’Irlande, sans être alarmé, — trop véridique pour ne pas le dire, — des orages qui, de ce côté, se rassemblaient sur la tranquillité britannique ? Parnell est mort ; et « Parnell a trop de successeurs pour être remplacé : » mais, la question que Parnell a posée, la mort de Parnell ne l’a pas résolue. Puis, en Angleterre comme en d’autres pays et plus activement que dans certains pays, sévit « l’inévitable, l’implacable, l’insoluble question sociale, » dit Augustin Filon, « notre terreur à tous. » Elle embrouille encore une politique déjà compliquée, où la rivalité des Lords et des Communes apporte des élémens de trouble perpétuel. En 1911, après la mort d’Edouard VII, Filon se demandait, avec une tremblante amitié, comment cette Angleterre, forte et fébrile tout ensemble, se tirerait d’une crise dont il découvrait mieux les symptômes que les remèdes. Il avait confiance.

La confiance qu’il avait dans l’avenir de l’Angleterre tenait sans doute aux marques de santé qu’il observait en elle, et tenait aussi à son estime, d’une vertu anglaise qu’on pourrait appeler le sens et le goût de l’évolution. Dans la préface de ses Profils anglais, il écrit : « Le peuple anglais est un peuple grand et prospère parce que c’est un peuple évolutionniste... » Cette opinion, cette doctrine même, il la plus d’une fois indiquée, parfois