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ils apparaissent comme le lion tangible qui rattache leur exil au village natal : « Hé ! hé ! c’est peut-être bien par là qu’on rentrera chez nous ! » Cette hypothèse qui se propage prestement dans les rangs donne aux idées un autre cours. A perte d’haleine on discute aussitôt les mérites comparés des retours par la voie ferrée ou par la mer fertile en périls. Mais il suffit d’un train qui siffle, crachote et s’éloigne péniblement vers l’Ouest pour mettre d’accord tous les bavards, dans un unisson de réflexions hargneuses : « Pourquoi nous font-Ils [1] « marcher la route » quand on pourrait arriver plus vite et sans fatigue dans des wagons ? » Certes, le reproche ne manque pas de logique apparente. Mais, braves gens, si vous descendiez de voiture près du terrain des prochains combats, vous ne supporteriez pas quelques journées de campagne. Vos jambes vous trahiraient, vous ne sauriez vivre la vie des bivouacs où l’ingéniosité seule, fille de l’habitude, vous donnera toujours le nécessaire et parfois le superflu. C’est donc avec sagesse qu’ils vous font subir l’entraînement préparatoire qui apparaît comme une brimade à votre raison de guerriers consciens. Vous ne trouverez pas en Macédoine, comme en France, des villages pour vous reposer, des mercantis pour vous gruger ; mais quelques étapes sur les plaines désertes que les novices affirment être dépourvues de ressources vous apprendront comment on s’y procure de la paille pour dormir, du bois pour les cuisines, des lièvres, des perdrix et des choux pour les marmites. Vous deviendrez experts aux brusques départs en pleine nuit, aux marches avec la boussole lumineuse ou les étoiles pour guides ; vos jarrets détendus par les longues factions dans les tranchées françaises se durciront ; vos épaules et vos poitrines meurtries aujourd’hui par les sacs et les musettes s’élargiront. Quelques jours de cette existence nomade changeront la troupe ankylosée, que vous êtes, en régiment alerte, résistant et débrouillard. Allez à pied, vous verrez mieux le pays décrit par les guides Joanne et par les touristes qui se sont élancés jusqu’à Florina, derrière nos amis serbes et la petite armée du général Cordonnier.

Car l’échec de la manœuvre bulgare est complet. Après quelques succès qui amenèrent les avant-gardes ennemies jusqu’aux environs du lac d’Ostrovo et firent croire au classique

  1. Ils, pour le soldat, ce sont les chefs de tout grade qui sont toujours présens collectivement dans son esprit aux heures de doléances.