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terre ! » En somme, il y a chez Filon, je ne dis pas toute la critique, au moins quelques élémens d’une critique au bout de laquelle la philosophie évolutionniste a grièvement pâti. Néanmoins, il affirme et il répète que la vertu anglaise par excellence est le don, l’art de l’évolution.

La contrariété se résout, il me semble, si l’on voit que, l’évolution, ce n’est pas à l’immobilité qu’il l’oppose, mais à la révolution. Il croit, — et ce ne peut être qu’un acte de foi, l’un de ceux qu’on fait le plus communément, l’un des plus arbitraires, — que l’aventure humaine se déroule suivant un cours normal ou régulier. L’on n’y change rien : et alors, deux sortes d’hommes lui paraissent également vains et nuisibles, ceux qui prétendent seconder et ceux qui prétendent retarder l’évolution, les révolutionnaires et les réactionnaires. L’Angleterre qu’il a examinée et qu’il a peinte n’est ni révolutionnaire ni réactionnaire. Il la compare à la France. Il écrit : « Pour détacher de la vieille France cette France nouvelle que nous sommes, il a fallu le forceps révolutionnaire : l’Angleterre aristocratique a enfanté l’Angleterre démocratique pendant le sommeil du chloroforme. » Après cela, laissons les formules et les métaphores. Il y a, dans un état social, et quel qu’il soit, deux forces : l’une de changement, — je préfère à ce mot si trompeur d’évolution le mot plus simple de changement, — et l’autre de maintien. L’une est le mouvement, l’autre la résistance. L’équilibre de ces deux forces fait la stabilité sociale. La suprématie accablante de l’une d’elles a les pires inconvéniens : elle fait le désordre ou la torpeur. Avant la Révolution française, les forces de résistance étaient, chez nous, réduites à l’extrême faiblesse : beaucoup des hommes qui avaient pour mission naturelle de résister n’eurent que l’entrain de céder, et d’aucuns avec un fol enthousiasme. Ce fut du désordre. Il en serait de même aujourd’hui : la torpeur n’est pas à craindre. Et, si l’Angleterre évolue, au lieu de se jeter en incessante révolution, ce n’est pas qu’elle change, c’est qu’elle change posément. Ce n’est point par l’œuvre de sa force mouvante, mais par l’œuvre de sa force résistante.

Mais cette force résistante, ne la confondons pas avec ce qu’on nomme un parti rétrograde. Certes, un tel parti peut, à l’occasion, doit aussi rendre des services, pour peu que l’autre parti aille trop vite et aille trop loin. Si je ne me trompe, c’est