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fougères, affalés sur la mousse, engloutis dans la bruyère. Le tumulte de la route, ténue comme un fil gris, ne pénétrait pas sous la voûte épaisse du feuillage ; on ne pouvait se résoudre à quitter ces coins de France. Dieu ! que la Macédoine était loin !

Dans cette zone accidentée qui sert de piédestal aux grandes montagnes limitant à l’Ouest le bassin du Vardar, la physionomie des villages augmentait encore l’illusion. Mieux protégés par la nature que les misérables localités de la plaine contre les séculaires incursions des comitadjis de toute race, ils avaient l’air avenant des villages de chez nous. Les maisons blanches chapeautées de rouge par leur toits en tuiles, serties dans la végétation exubérante des jardins, dans les masses harmonieuses des noyers, des bouleaux, des peupliers et des chênes, les clochers carrés de leur basilique ornée de peintures fraîches et naïves comme des tableaux de primitifs, faisaient un violent contraste avec les cahutes grises des vallées, tapies autour de la maison à étages du riche Juif local, que la tradition turque toujours persistante vouait au bleu. Autant les rares habitans des bords de la Moglénica et du Vardar suaient la misère, le paludisme et la peur, autant les villageois des régions moyennes apparaissaient prospères, vigoureux et satisfaits. Aux vétérans du Tonkin leur allure confiante et fière, leurs costumes confortables ornés de broderies claires au petit point rappelaient les Hans de la frontière chinoise ; mais cette bonhomie campagnarde était souvent un masque éraillé sur des faces inquiétantes de pillards. La mise en coupe réglée des troupes stables, dépôts d’éclopés, bataillons d’étapes, relais de convois, parcs d’aviation, détachemens du génie, services des subsistances, devait leur paraître moins délectable que les incursions chez les timides voisins de la plaine où leurs razzias égalitaires dépouillaient tantôt les musulmans et tantôt les chrétiens. A quoi bon se perdre dans la recherche de leurs affinités ethnographiques ou religieuses, de leurs aspirations politiques ou sociales ? Il faut être diplomate en disponibilité, journaliste à court de copie, touriste ou militaire doué d’un enthousiasme naïf pour croire que ces honnêtes brigands se préoccupent du réveil des petites nationalités, qu’ils saluent avec joie la naissance d’une Macédoine indépendante, qu’ils préfèrent Venizélos au roi Constantin. Ils sont vaguement bulgarophobes et ils se soucient