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France et la Grande-Bretagne, à la question du gouvernement russe, peut-être serait-il permis de l’interroger à son tour. Nous ne demanderons pas à la Révolution jusqu’où elle a révisé les « buts de guerre » de l’ancien régime. Que la Russie nouvelle répudie ou n’accepte que sous bénéfice d’inventaire les testamens les plus célèbres, c’est un choix qui ne regarde qu’elle. Mais il est un problème qui nous intéresse tous. Comment se prépare-t-elle à tenir les obligations souscrites jadis par le gouvernement impérial et qu’elle a déclaré solennellement vouloir assumer et exécuter ? Des faits graves, l’indiscipline qui déchirait l’armée, la discipline par trop moderne qui la désagrégeait, les démissions, heureusement retirées, des généraux Broussiloff et Gourko, nous avaient à bon droit troublés. Les proclamations du prince Lvoff et de M. Kerensky, la dépêche de M. Terestchenko, nous rassurent, dans la mesure où peuvent être une assurance les plus sincères, les plus mâles paroles, qui ne sont pourtant pas des actes. Il y a quelques jours, au plus aigu de la crise, avant qu’en éclatant elle fût en voie de se résoudre, nous eussions conseillé de faire les comptes et de dresser les plans comme si le facteur russe devait être provisoirement éliminé de nos calculs ; ce qui pourrait nous venir de ce côté-là étant porté en supplément, comme un boni. A tout i)rendre, aujourd’hui, sans croire que toutes choses soient parfaitement rassises et remises en place, qu’un ordre démocratique remplisse pleinement les cadres de l’ordre autocratique aboli, et que l’armée russe soit tirée de cette anarchie spontanée à laquelle la Russie était par son génie prédestinée plus que toute autre nation, il semble qu’il y ait dans son état cette manière d’amélioration qu’on éprouve lorsqu’un abcès crève. Il n’est jamais certain qu’il ne s’en reformera pas un autre à côté, mais c’est, quand même, une rémission et un espoir. Ce sera la guérison. s’il devient avéré que le gouvernement provisoire a autant de volonté que de bonne volonté, et autant de pouvoir que de volonté.

Seulement, la révision des « buts de guerre, » la paix. « sans annexions ni indemnités, » ce sont des sujets qu’il serait préférable de ne pas trop agiter encore, et sur lesquels il faudrait, en tout cas, que ce ne fussent pas toujours les mêmes qui se fissent entendre. Pour nous, si scrupuleux observateurs que nous soyons de « l’union sacrée, » nous ne pouvons cacher qu’à notre avis, on laisse les socialistes beaucoup trop discourir là-dessus, ou, s’il n’est pas facile de les faire taire, qu’on les écoute beaucoup trop. Quel que soit le mérite qu’on ne puisse leur contester, d’être présens à tout, de ne pas s’endormir,