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LES YEUX DE L’ASIE [1]
III [2]
UN COMPTE PERSONNEL

La scène se passe à trois milles et demi de la frontière indienne, vers Kohat.

L’heure : au coucher du soleil. Chambre isolée dans une tour, où l’on atteint par une échelle posée à terre. Une femme afghane, enveloppée dans une couverture de coton rouge, est assise par terre sur ses talons, arrangeant une petite lampe de kérosène. Son mari, vieil Afghan à la barbe teinte, est étendu sur un lit indigène recouvert d’un drap rayé bleu et blanc. Il est blessé au genou et à la hanche. Un fusil du gouvernement est appuyé contre le lit. Leur fils, âgé de dix-huit ans, s’agenouille à côté du père, en dépliant une lettre. Tandis que la mère place la lampe allumée dans un retrait du mur, le fils prend le fusil et du bout pousse la porte entr’ouverte. La femme passe à son mari une pipe bourrée de tabac, en soufflant sur le morceau de charbon placé dans le fourneau.


LE FILS, dépliant la lettre. — C’est écrit de France. Son régiment y est encore.

LE PÈRE. — Que dit-il au sujet de l’argent ?

LE FILS, lisant. — « Je suis rassuré d’apprendre que vous recevez maintenant d’une façon régulière ce que je vous envoie sur ma solde. Vous pouvez compter que la somme arrivera désormais chaque mois. J’ai aussi envoyé un supplément de onze roupies en plus de l’allocation : c’est un cadeau pour l’achat de la machine dont vous avez besoin dans vos affaires. »

LE PÈRE, tirant de sa poitrine un revolver bon marché plaqué de nickel. — C’est une bonne machine, et il est un bon fils. Qu’y a-t-il encore ?

  1. Copyright by Rudyard Kipling.
  2. Voyez la Revue des 1er mai et 1er juin.