Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par la dureté du sol rocheux, Mais les obus en avaient si bien martelé les abords que les éclats de pierres avaient rendu les parapets intenables. D’ailleurs, la manœuvre française par le Sud y avait plus contribué peut-être que l’attaque du front.

A mesure que s’écartaient les versans de la vallée qui descend dans la plaine de Florina, le théâtre de la guerre s’élargissait devant les regards curieux. De lointains flocons d’ouate dénonçaient les querelles d’artilleurs ; mais ils semblaient si ténus dans l’immensité du paysage, le contraste avec les derniers volcans de la Somme était si vif, que la confiance effaçait tout autre sentiment dans les âmes les plus pessimistes : la lutte apparaissait aisée, la victoire facile. Les minarets, les maisons blanches de Monastir, entrevus à travers la gaze bleue de l’air léger, allaient voir bientôt passer des troupes qui balaieraient tout devant elles. Mais les initiés restaient rêveurs. Ils pressentaient des centres de résistance dans les villages dont l’aspect paisible, les arbres touffus, les innombrables troupeaux disséminés à travers la campagne démentaient la sinistre réputation des anciens dominateurs turcs et des envahisseurs bulgares. Ils devinaient la puissance des mitrailleuses sur ces terrains plats où nulle ride ne dissimule les formations d’approche et les vagues d’assaut ; ils se représentaient les grêles de shrapnells dirigées à coup sûr par les observateurs aux aguets sur les cimes, et projetées par les batteries invisibles derrière les écrans des contreforts. Plus compliquée qu’autrefois se révélait la guerre en pays de montagnes. Les pièges d’une fortification passagère riche en ressources, l’énorme portée, la précision, la force des armes nouvelles plaçaient les clefs des vallées sur les crêtes qui les dominent.

La barrière que les Bulgares étendaient on travers de la plaine apparaissait largement jalonnée par les explosions. De part et d’autre, nulle vie perceptible que celle des troupeaux abandonnés qui ponctuaient de taches noires le tapis immense des prés et des champs. Les lorgnettes les plus puissantes ne parvenaient pas à découvrir des cavaliers en reconnaissance, des infanteries diluées en dispositifs d’attaque, en formation d’approche dans la zone battue par les canons. La « guerre de mouvement » semblait finie dès son prologue, et les adversaires semblaient figés dans la « guerre de tranchées. » De positions en positions, l’ennemi pouvait la faire durer longtemps. On le