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soupçonnait de s’y être préparé, car des racontars couraient dans les bivouacs, les colonnes et les popotes, au sujet des « lignes de Kenali » réputées formidables. Des belvédères de la route en corniche, comme des avions lâchés à la découverte, les yeux fureteurs cherchaient ces lignes fameuses qui protégeaient le camp retranché de Monastir, celles que les espions leur attribuaient plus au Nord comme soutien. On ne discernait que des villages estompés dans la vapeur des marais de la Cerna, et l’inévitable choc en retour faisait lentement succéder le doute à l’espoir. Sans doute les Russes arrivés dans ces parages y créaient une ambiance de fatalisme souriant, et le réconfort se dégageait du grouillement de leurs effectifs copieux. Mais trente mois de guerre avaient démontré qu’on ne renverse pas, sous la seule poussée des hommes, les abris de mitrailleuses et les réseaux de fil de fer. Il faudrait manœuvrer, enlever les sommets, s’assurer le commandement des vues pour retourner au profit de l’assaillant les avantages naturels du défenseur. Encore celui-ci aurait-il la parfaite connaissance d’un pays qu’il sillonnait en tous sens depuis un an et qui ne se dévoilait pour nous que sur des cartes incomplètes, des photographies d’avions insuffisantes, et des rapports d’espions nourris aux deux râteliers.

Dure s’annonçait donc la tâche qui attendait les troupes envoyées de France en renforts, et que les Serbes entreprenaient allègrement. Leurs obus tombaient maintenait sur les pentes Nord de la montagne enfin conquise. Les projectiles fouillaient les ravins, les masses de rochers qui défilaient aux vues des batteries ennemies. Mais, vers l’Ouest, à l’autre extrémité de la plaine, des fumées intermittentes, à peine visibles dans l’éloignement, se soulevaient aux alentours de Florina, et dénonçaient les Bulgares aux aguets sur les hauteurs dominant au Nord la petite cité enfouie dans ses jardins.


LA RETRAITE BULGARE

Les gens de guerre admettent comme un devoir indiscutable l’exploitation à outrance du succès. Mais les praticiens à l’œuvre s’inspirent volontiers de ce principe modérateur : « Il ne faut jamais prendre ses désirs pour la réalité. » D’ailleurs, la vie humaine est faite de contradictions, et les actes démentent