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à rendre désagréables les flâneries dans les rues de Florina, et on les supposait capables d’attendre sur place un choc décisif : « Voilà un petit plateau balayé par deux mitrailleuses, et où il ne faut pas s’aventurer de jour ; ce pont est battu par un 88 et ils y font du tir au lapin, même sur un isolé... » disaient obligeamment les anciens aux nouveaux venus qui les relevaient, tout comme en France, dans leurs tranchées. Cependant, cette situation paraissait anormale aux théoriciens : « Ils nous amusent par un rideau sur une avant-ligne, tandis qu’ils complètent l’aménagement de leurs lignes de Kenali qui sont leur position principale. Nous n’avons qu’à foncer dessus ! » Foncer dessus, on y songeait. En attendant de passer aux actes, nos patrouilles de nuit s’évertuaient à garder le contact.

Les théoriciens avaient raison. Un beau matin, au point du jour, quelques Sénégalais envoyés en corvée à Florina s’aventurent, pour abréger le retour, sur un sentier prohibé. Ils arrivent sans encombre, à la grande surprise de leur chef de section. Quoique la fin de la nuit ait été encore agitée par des échanges de grenades, ce silence parait suspect. Des éclaireurs s’aventurent en rampant près des tranchées bulgares ; encouragés par l’impunité, ils franchissent le réseau sommaire, disparaissent derrière le parapet. On les croit perdus, mais ils apparaissent en gesticulant : « Ils sont partis ! » s’exclament-ils. Ces cris répétés tout au long de nos lignes font sortir de leurs trous gradés et soldats engourdis par le froid du matin. On interroge, on s’ébaudit. Dans la plaine, nos voisins russes ont dû faire des remarques identiques, car des groupes ténus se glissent comme de petites chenilles dans les fossés, derrière les talus, et s’ébranlent déjà vers le Nord. Le téléphone fonctionne à coups d’appel précipités. La montagne s’anime. Quel beau démarrage ! Malgré la fatigue de la relève opérée dans la nuit. Sénégalais et coloniaux vite équipés en guerre s’efforcent d’atteindre par-dessus croupes et ravins l’ennemi fugitif. Mais celui-ci devait avoir pris de l’avance, car nul barrage d’artillerie, nul crépitement de fusillade n’arrêtèrent ce jour-là l’élan des poursuivans.

Ainsi les Bulgares avaient pu « se décrocher, » malgré la proximité des adversaires, en trompant la vigilance des sentinelles, des patrouilles et des observateurs. Ils avaient pu s’éloigner à leur heure, en bon ordre, sans être inquiétés. Ils ne