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laissaient derrière eux que de misérables trophées : quelques traînards tapis dans les villages et qui se rendaient gaiement à nos éclaireurs, quelques fusils abandonnés dans les fossés, quelques épaves de bivouacs prestement levés. Les emplacemens de batteries étaient nets, et l’on n’y trouvait même pas de douilles d’obus. Les boyaux amorcés, les tranchées ébauchées confirmaient le caractère d’avant-ligne à la position qui avait arrêté nos troupes pendant un mois. Les indigènes se montraient indifférens à ce retour de fortune. Ils n’acclamaient pas leurs libérateurs, et ils leur vendaient très cher des poules, des légumes et des œufs. Ils en étaient abondamment pourvus, car les Bulgares avaient respecté ces signes extérieurs de l’aisance, et les villageois en profitaient pour les céder au prix fort aux Français. En toute hâte, emportés par le torrent de la poursuite, on les interrogeait dans un « pidgin » que comprenaient les anciens émigrans revenus d’Angleterre et des Etats-Unis. Ils étaient nombreux, et des femmes, des enfans aux figures avenantes et fraîches les entouraient : « Atrocités bulgares ? — Nous ne savons pas. — Où sont-ils ? — Là-bas, plus loin que Bitoli ! » Et leurs gestes vagues montraient la plaine qui s’élargit au Nord de Monastir.

Oui, évidemment, on aurait dû « foncer dessus » la veille, ou les jours précédens, ne manqueront pas de conclure les stratèges de cabinet en évaluant les résultats probables d’une attaque brusquée. Mais ceux-là savent-ils ce que ces deux mots volontiers employés : « foncer dessus, » représentent d’aléas et de perles ? L’audace réfléchie, la témérité inconsciente procèdent d’états d’âme qui n’ont entre eux aucun rapport, et nul chef n’a le droit d’être inconscient. Sur le terrain en tapis de billard de Macédoine et d’ailleurs, il faut avoir vu les fantassins fauchés comme des épis mûrs par une ou deux mitrailleuses dissimulées derrière un petit buisson, par une batterie insoupçonnée, pour comprendre ce que signifient d’intempestifs accès de « furie française » sans le secours des réserves puissantes et manœuvrières. En réalité, les Bulgares laissaient le champ libre. Un savant calcul détermina-t-il leur manœuvre, d’ailleurs difficile et fort habilement exécutée, ou l’ennemi fut-il seulement impressionné trop tôt par l’avance méthodique des Serbes sur les crêtes dominant son flanc gauche, par l’arrivée simultanée des renforts russes et français dont ses espions exagéraient