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expédition, il est lui-même très sobre. Pour la reconstituer dans ses détails, il faut revenir souvent sur le sujet, afin de tirer chaque fois quelque trait. En les ajoutant l’un à l’autre, patiemment, on arrive à recomposer l’aventure : c’est un travail de mosaïque. Et il faut interroger ses compagnons.

... Il est une heure du matin, le 3 novembre. Le lieutenant Diot attend avec ses hommes en avant des Carrières, à 100 ou 200 mètres à peine du fort, le retour des patrouilles qui sont parties vers minuit pour inspecter les abords et le fossé. Une à une, les trois patrouilles reviennent. Leurs renseignemens sont concordans : pas âme qui vive sur tout le terrain fouillé, pas un mouvement, pas un bruit, pas un coup de fusil, pas une fusée ; un silence presque impressionnant. Les barrages ennemis se font en arrière, à hauteur des Carrières et du Petit Dépôt. La place est nette, il n’y a plus qu’à entrer. Pendant que la compagnie du 118e commandée par le capitaine Fouache, va contourner le for et s’établir au-devant, le lieutenant Diot amène sa compagnie jusqu’au fossé : un peloton occupera le dessus, l’autre le suivra à l’intérieur. Lui-même s’avance avec le sous-lieutenant Lavève et le détachement de la compagnie 13/63 du génie qui lui a été adjoint. La nuit est noire comme de l’encre, la moindre lumière révélerait le projet. A tâtons, les explorateurs cherchent une ouverture pour s’y glisser. Les casemates, la gorge, toutes les issues sont murées. Enfin, au coffre Sud-Ouest, un trou est découvert qui devait servir à une mitrailleuse. Le lieutenant Diot essaye de s’y introduire : la fente est trop étroite. Quel est le soldat le plus maigre ? Poulain se présente qui a tournure de jockey. C’est lui qui, le premier, descendra bravement dans l’antre. Diot se déséquipe, ôte sa capote et plonge : à hue, à dia, on le pousse par derrière, tandis que Poulain le tire à l’intérieur. Soufflant, ahanant, peinant, il parvient à passer et, par surcroît, il a élargi la lucarne. C’est le tour de Lavève. A eux trois, ils fouillent le sous-sol. Le soldat a allumé une lanterne, les deux officiers ont poussé le ressort de leurs lampes électriques. Leurs pas retentissent sous les voûtes : ils cherchent à en étouffer la sonorité. Tout de même, ils ignorent comment finira la visite. Ils sont à la merci d’une mine ou d’un guet-apens. Une odeur insupportable les prend à la gorge : mélange de fumée, de gaz, de pourriture. Le spectacle qu’ils ont est sinistre : des détritus