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par un excès d’ambition l’œuvre inespérée accomplie par Bismarck.

Le chancelier connaissait à fond le caractère de son maître et savait en jouer. Quelque opiniâtreté qu’il mit, en discutant avec lui des affaires de l’Etat, à soutenir son opinion, parfois même à laisser la discussion tourner en querelle, il avait l’art de s’arrêter à temps, c’est-à-dire, lorsqu’il sentait que son obstination serait impuissante à vaincre la résistance du souverain. Il y eut souvent entre eux des discussions aigres et violentes, jamais de rupture sérieuse. C’est ainsi que, en ce qui concernait le cas du duc de Cumberland, ayant compris que la ligue formée par la reine Victoria, l’impératrice Augusta et la kronprinzessin Frédéric serait plus forte que lui auprès de l’Empereur, Bismarck accueillit favorablement les ouvertures de lord Beaconsfield et céda sans se faire prier, mais sans dissimuler qu’il y était contraint et forcé.

« En principe, je suis opposé à toute entente avec la maison de Hanovre dont les partisans sont, dans le Reichstag, mes adversaires les plus ardens, dit-il au ministre anglais. Nous n’avons en Prusse aucun intérêt à favoriser le parti guelfe qui entretient dans l’ancien royaume de Georges V une agitation révolutionnaire, et qui profitera pour l’activer des concessions que nous lui ferons. Mais en présence du désir manifesté par mon souverain et par le prince de la Couronne, il m’est impossible de décliner les ouvertures que vous me faites au nom de Sa Majesté la reine, si opposé que j’y sois personnellement. En conséquence, dès que le duc de Cumberland aura déclaré reconnaître l’Empire d’Allemagne et fait une visite à l’Empereur son oncle, il recevra les seize millions de thalers (soixante millions de francs) qui constituent la fortune séquestrée du Roi son père et il sera déclaré héritier du duché de Brunswick. »

Cette réponse ouvrait les voies à un arrangement, et la reine d’Angleterre voyait déjà toutes les difficultés écartées ou aplanies lorsque, au mois d’août, et contre toute attente, était lancé, devienne où le duc de Cumberland s’était rendu, un manifeste dans lequel, sous la forme la plus véhémente, et au nom de ses droits d’héritier de Hanovre, il protestait solennellement, à l’exemple de son père, contre l’attentat commis par la Prusse en 1866, par lequel avait été détrônée la dynastie hanovrienne. Il avait signé « duc de Cumberland et de Brunswick. »