Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/871

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour préparer le repas. Il faisait très chaud. J’avais eu l’imprudence de laisser la porte ouverte. Une voix me fait me retourner. Un soldat est sur le seuil ; il essaye d’entrer en conversation :

— Est-ce moi qui fais la cuisine ?... Est-ce que nous ne travaillons pas encore ?...

Il a une façon insistante de me dévisager. Je commence à ne pas être rassurée. Pour comble de malchance, un nuage crève, une averse s’abat :

— Entrer, mademoiselle ! déclare l’Allemand.

Il entre en effet, et, derrière lui, un de ses camarades que je n’avais pas aperçu. Ils s’installent de chaque côté de la porte... Ils ont un drôle d’air. J’ai si peur que je ne trouve aucun moyen de m’échapper. Par bonheur, arrive la fille de Mme D... Les deux Boche ? interdits s’en vont. Je suis délivrée. »

Ce n’est pas impunément que l’on subit de telles épreuves, ce n’est pas impunément, quand on n’est qu’une femme, que l’on se sent guettée, traquée chaque jour, à chaque minute. Longtemps après sa libération, Yvonne X... devait conserver une expression farouche, l’attitude d’un être sur le qui-vive, prêt pour la défense. On ne pouvait, devant elle, faire allusion à son temps d’esclavage, sans la voir trembler et pâlir, tout son sang reflué soudain vers le cœur.


« Les choses en étaient là, quand, un mardi, le bruit se répand, dans le village, que le commandant est revenu ! »

Au ton dont cette nouvelle est annoncée, les prisonnières peuvent juger de son importance. D’après les renseignemens qu’elles ont recueillis depuis leur arrivée, elles essayent de se faire une idée du caractère du commandant : « Il se montre, dit-on, moins rapace que les gouverneurs de nos villes du Nord. Les paysans ont conservé leurs vaches, leurs volailles, à la condition de fournir un certain nombre de litres de lait, pour la fabrication des fromages envoyés au front ; ils doivent remettre un nombre déterminé d’œufs... Au surplus, les avis sont partagés. D’après les uns, il aurait un peu de sang français dans les veines. Il aurait longtemps habité la France. Il voudrait que les civils souffrent le moins possible de l’occupation... Les autres, sceptiques, concluent : C’est un Allemand comme tous les Allemands.