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Le lendemain, nous sommes convoquées pour un nouvel appel à deux heures. Sans doute, le commandant veut nous passer en revue... Cette fois, nous sommes beaucoup plus nombreux. De nouveaux déportés ont doublé notre effectif. »

Dès une heure, les prisonniers se rendent à B... Le temps est orageux ; le soleil brûle ; vainement, sur la route, cherche-t-on un peu d’ombre. La marche est tout à fait pénible. Une femme enceinte de plusieurs mois avance lentement. De ce douloureux défilé s’exhale une morne tristesse.

« Quand nous arrivons à B... les émigrés (c’est ainsi qu’on nous appelle dans le pays), qui logent à B... sont déjà sous le préau de la mairie. Les sous-officiers, plus pointilleux que d’habitude, montrent une grande activité. Ils courent, s’agitent, commandent :

— Les hommes d’un côté, les femmes d’un autre... Rangez-vous !...

Nous examinons nos nouvelles compagnes. »

Impression pénible. La rafle, cette fois, a surtout porté sur des filles publiques. Toutes les autres épreuves, Yvonne X... et ses amies les supportent d’un cœur ferme. Mais cette promiscuité les révolte :

« Ces malheureuses n’ont même pas la décence de se tenir convenablement. Elles rient très haut ; elles provoquent les soldats dans un langage grossier. L’une surtout, une étrangère qui par le flamand, est odieuse. »

Heureusement, un auto stoppe devant la Kommandantur. Le commandant parait, sanglé dans son uniforme couleur de cendre. La taille haute, la marche très alerte, la tête grisonnante, le visage affable, pas militaire du tout, on devine, en lui, l’homme du monde, le banquier qu’il était « dans le civil. » Il va, vient, tend la main à l’un, à l’autre, s’entretient avec le major : un homme de taille moyenne, celui-ci, maigre ou plutôt efflanqué, avec une tête petite, blonde, un teint blafard, des oreilles sans ourlet et comme grignotées par un mal mystérieux :

« Les sous-officiers procèdent à l’appel. Après quoi, l’un d’eux, Wecks, tout gonflé de son importance, roule vers nous des yeux sévères et nous harangue comme suit :

— Mesdames, Monsieurs, maintenint, il faut parler du travail. Si vous travaillez de bonne volontié, vous serez contints.