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dans leur incorrection ! « Pour la première fois depuis l’occupation, m’a dit Yvonne X... nous avons senti une âme battre sous l’uniforme de nos ennemis et s’élever au-dessus des passions humaines. »

La journée se traîne mortellement longue.

« Vers le soir, un officier vient nous annoncer que notre départ est fixé au lendemain, dimanche. Nous devrons nous lever à quatre heures du matin. »

Les voyageuses ont tellement peur de manquer leur train que, le lendemain, dès trois heures, elles sont levées. Elles s’habillent, se coiffent à la lueur d’une unique bougie. A cinq heures, elles défilent dans les rues désertes. A six heures, leur convoi s’ébranle. Installées dans des compartimens de troisième classe, elles se trouvent confortablement, en comparaison de leur voyage d’aller. Elles regardent le paysage. Avec une tristesse poignante, elles voient, sous le ciel clair, passer les hauteurs des Ardennes complètement dépouillées. Disparues, les forêts sombres qui habillaient la terre ! Celle-ci apparaît nue, calcinée.

Le train avance lentement. Les arrêts sont fréquens, parfois interminables. A Aulnoye, on stoppe quatre heures sur une voie de garage. A chaque station, les Allemands demandent où nous allons. Nous répondons : « Lille ; » et comme tout bon Allemand ne peut voir une joie chez ses ennemis sans vouloir la transformer en amertume, ils nous crient :

— Lille ! Capout ! Capout ! »

Enfin, les voyageuses entendent la grande voix du canon. Quelle émotion !

« Il nous manquait là-bas. Quelquefois, des coups lointains étaient perceptibles : c’était le canon de Verdun. Mais, ici, c’est la lutte toute proche, la preuve du bon travail que font les Alliés, la certitude de notre délivrance. Nous croisons des trains militaires de plus en plus nombreux. Fives ! nous sommes tout près ! A trois heures, nous entrons en gare de Lille. Nous croyions qu’on allait nous garder dans une salle d’attente pour ne nous laisser rentrer chez nous qu’à la nuit. Mais non... »

Accompagnées de deux soldats, les jeunes filles suivent la rue de la Gare. « C’est le dimanche après-midi : les Lillois sont en promenade, ils font la haie pour nous voir. On nous reconnaît. On nous interroge. Notre guide nous fait passer devant