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debout, dans la cour. Un officier paraît. Il parle français aussi bien que nous.

— Mesdames, je vais faire l’appel... Nous allons vous renvoyer dans vos foyers... Nous n’allons pas vous traiter comme des prisonnières, puisque vous n’avez rien fait de mal ; mais comme vous n’êtes pas toutes là, nous allons vous conduire dans un lazaret où vous serez très bien... Il y a un jardin... Nous espérons que vous ne vous ennuierez pas trop... Vous ne pourrez pas sortir...

Ce lazaret est un ancien pensionnat de jeunes filles. Il a conservé ses dortoirs, ses lits étroits. Il possède une chapelle que dessert un aumônier allemand. »

Groupées dans un des dortoirs, les jeunes filles prennent leur repas : un peu de riz et quelques pommes de terre nageant dans beaucoup d’eau : « Tout en mangeant, nous nous examinions curieusement. La plupart de mes nouvelles compagnes, dans les villages où on les avait déportées, avaient visiblement souffert de la faim. Leurs visages blêmes étaient maigres, leurs yeux fiévreux. On les avait fait travailler durement... Avec elles, nous étions les premières qu’on allait rapatrier à Lille : quarante-huit sur six mille !... »

Le lendemain matin, les jeunes filles descendent à la chapelle. L’aumônier allemand les y rejoint, leur distribue des recueils de cantiques. On entonne : « Je suis chrétien... » La messe commence. Après la lecture de l’évangile, l’aumônier se retourne vers les fidèles. Sa difficulté à prononcer le français est extrême. A tout moment, il s’arrête comme s’il cherchait ses mots à tâtons :

« Mes chères chrétiennes, je ne sais pas beaucoup de français, mais je veux dire quelque chose. Vous excuserez, n’est-ce pas ? La Sainte Vierge, mes chères chrétiennes, c’est notre modèle. La Sainte Vierge, ce n’était pas le plaisir et la joie, c’était la crèche et la croix. Et vous, mes chères chrétiennes, c’est aussi la souffrance et la douleur pendant cette guerre... Vous comprenez ce que je veux dire, n’est-ce pas ? Mais la Sainte Vierge, maintenant, c’est, dans le ciel, la fin de toutes ses souffrances. Pour nous autres, chrétiens, ce sera la fin aussi, mais en passant par toutes ces choses pénibles, douloureuses. Je ne sais pas bien dire. Mais vous comprenez, n’est-ce pas, mes chères chrétiennes !... » Paroles toutes simples, mais combien émouvantes