Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

illimités à portée des canons, car les chemins sont mauvais et les transports incertains. On n’a pas de réserves d’hommes nombreuses pour combiner, alimenter une attaque de grand style. Tout est mesquin, sauf la difficulté des entreprises et la bravoure des exécutans. Quelque parfaite que soit son habileté, quelque consommée que soit son expérience de la guerre contemporaine, un chef militaire en Macédoine est condamné à ne pas voir et à ne pas faire grand. Il doit s’y résigner, s’il n’est pas servi par un concours exceptionnel de circonstances qui pourrait élargir ses plans. Les projectiles sont vite épuisés, les troupes sont promptement à bout de souffle, et les renforts sont loin, quand il y en a. Aussi les projets d’engagement général se transforment-ils presque toujours en tentatives plus ou moins efficaces d’attaques locales.

Celle qui fut montée le 14 novembre dans la plaine de l’Est de Kenali restera pendant longtemps un des modèles du genre, car elle donne un relief saisissant aux caractéristiques de la bataille de positions sur le front macédonien. Les 155 courts, les 155 longs, les 120 qu’on avait amenés à grand’peine firent ce que l’on appelle « du bon travail » pendant la période préparatoire. On avait aménagé le terrain d’attaque selon les dernières règles de l’art ; mais aucune troupe de manœuvre n’attendait en arrière du rideau formé par les bataillons d’assaut. Or, si le front d’attaque était convenablement martelé, si les réseaux volaient peu à peu en miettes et livraient enfin passage aux vagues déchaînées, les organes de flanquement restaient en dehors de la zone étroite où l’artillerie concentrait son tir ; ils conservaient toute leur efficacité ! Ainsi, faute d’effectifs et faute de matériel, l’assaut donné aux Bulgares ne pouvait être qu’une belle passe d’armes où la parade fut aussi rapide que l’attaque fut fougueuse. Les deux adversaires se retrouvèrent face à face, guettant une défaillance dans le conflit de leurs volontés maintenant arrivé au paroxysme. De notre côté, Sénégalais et marsouins comprenaient bien que le moment était proche où la victoire jusqu’alors hésitante se donnerait au plus têtu. Les actes de bravoure folle et d’héroïsme conscient, dont le récit haché bruissait de bouche en bouche, galvanisaient les survivans qui oubliaient de se compter. Rasant le sol dans la grisaille du crépuscule naissant et des fumées d’explosions, les brancardiers rapportaient les blessés qu’ils ne voulaient pas