Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exposer aux piétinemens d’un nouvel assaut. Des soldats rampaient, sous la voûte sonore des projectiles pour aller chercher leurs chefs ou leurs camarades, et n’entraînaient le plus souvent dans nos lignes que des corps déchiquetés. En face, entre les obus devenus rares et sous le gazouillis continu des balles, les Bulgares s’agitaient dans une activité qu’on devinait fébrile, à l’abri de leur parapet dont ils s’efforçaient de réparer les ravages. Ils lançaient des grenades au hasard ; les salves diluées des fusils crépitaient innombrables, les fusées éclairantes s’élançaient en sifflant. Ce vacarme faisait présager pour le lendemain une résistance farouche d’adversaires résolus à tenir jusqu’au bout.

Il semble, en effet, que l’ennemi ait été trompé par la puissance d’une préparation et la violence d’une attaque où il supposait engagés de gros effectifs. Tandis qu’il se réjouissait sans doute de sa victoire apparente et réservait à la plaine ses forces et ses soins, les Serbes, qui avaient gravi peu à peu les pentes méridionales du massif contourné par la Cerna, mettaient soudain la gauche bulgare en péril. Sans doute, les Français au centre, les Russes à droite, étaient maintenus dans leurs lignes ; mais que valait ce succès, d’ailleurs passif, contre la défaite éprouvée vers Polok ? Trente canons, près de mille prisonniers, un matériel considérable, étaient les trophées ramassés par les troupes du voïvode Mitchich au temps où deux régi mens mixtes de Français et de Sénégalais donnaient à l’Est de Kenali un assaut infructueux. Derrière les sommets couronnés par les Serbes, l’artillerie pourrait bientôt prendre à revers les défenseurs. Il fallait donc se hâter d’échapper à une étreinte qui s’annonçait d’autant plus redoutable qu’un péril nouveau avait surgi.

Sur les fronts stabilisés, inabordables en apparence, la guerre actuelle a remis à la mode les petites opérations dénommées « coups de main. » Ils ont pour but l’enlèvement d’une patrouille ou d’un petit poste, coûtent beaucoup en général et rapportent peu. Mais, dans une période parfois très longue d’inertie guerrière, ils étoffent les communiqués, calment les impatiences des stratèges civils de l’arrière et stimulent l’esprit offensif des guerriers de l’avant. Aux approches des grandes mêlées, ils sont tentés par séries, pour vérifier « l’ordre de bataille, » pour maintenir l’ennemi dans son incertitude