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« un soldat de fidélité » il ne saurait choisir le désordre. « La loyauté devant la France mène vite à la loyauté devant le Christ [1]. » Et les dernières pages du Voyage du Centurion sont un ardent appel à la grâce, une originale reprise et une éloquente paraphrase du Mystère de Jésus :


— Je veux, dit Dieu, que ta maison soit en ordre, et que d’abord tu fasses le premier pas. Je ne me donne pas à celui qui est impur, mais à celui qui fait pénitence de ses fautes, je me donne tout entier, comme mon Fils s’est donné tout entier.

— C’est une dure exigence que la vôtre, ô Seigneur. Ne pouvez-vous d’abord toucher mes yeux ?

— Ne peux-tu donc me faire crédit un seul jour ?

— Vous pouvez tout, Seigneur !

— Tu peux tout, ô Maxence. Voici que dans tes mains mortelles, tu tiens la balance, avec le poids juste et le contrôle infaillible. Je t’ai libéré du joug et de l’aiguillon. Je t’ai fait plus grand que les mondes, puisque je t’ai donné commandement sur le Paradis qui est plus grand que les mondes... O Maxence, il n’est pas de bornes à ta liberté que mon amour.


C’est, semble-t-il, dans ces dispositions morales qu’Ernest Psichari quittait l’Afrique au mois de décembre 1912. Rentré à Paris, il franchissait le dernier pas. Dans cette Eglise dont son grand-père s’était détaché il y avait 78 ans, il rentrait par une porte un peu imprévue. On eût sans doute fort étonné Renan, si on lui eût dit que le « militarisme intégral » pouvait conduire au catholicisme intégral. Mais « il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père. » Et il faut croire que l’état d’esprit dont témoigne cette conversion était fort répandu parmi la jeunesse contemporaine, car il semble bien que, dans le milieu fréquenté par le jeune officier, son changement d’idées n’ait provoqué aucune objection. Etrange jeunesse, qui, parfois, nous avait fait sourire par l’intempérance batailleuse de ses affirmations

  1. Voyez, dans le même ordre d’idées, la lettre qu’il écrivait, en 1911 à Mgr Jalabert, évêque de Sénégambie (Henri Massis, op. cit. p. 13-14). Et il écrivait, le 15 juin 1912, à son ami M. Maritain ; « Tout essai de libération du catholicisme est une absurdité, puisque, bon gré, mal gré, nous sommes chrétiens, et une méchanceté, puisque tout ce que nous avons de beau et de grand en nos cœurs nous vient du catholicisme. Nous n’effacerons pas vingt siècles d’histoire, précédés de toute une éternité... Avec tout cela, je n’ai pas la foi. Je suis, si je puis dire, cette chose absurde, un catholique sans la foi... Et nullement semblable à l’aveugle qui ne demande pas la guérison, j’appelle à grands cris le Dieu qui ne veut pas venir... »