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éclat, leur patience et leur adresse manuelle s’accommoderaient fort bien des conditions de la guerre orientale. Ils y rendraient, comme tirailleurs, sans doute autant de services que dans leurs rôles de contremaîtres ou de charretiers.

A coudoyer ainsi, dans les espaces restreints de la Macédoine, en même temps que nos auxiliaires coloniaux, les contingens de nos alliés, tous animés par le même désir de vaincre, ceux des Français de France que la lutte mondiale a jetés depuis trois ans dans la fournaise et qui, avant la guerre, ne voyaient pas plus loin que leur clocher ou leur syndicat, comprennent et apprennent. On reprochait jadis aux Français d’être un peuple de décorés qui ne savaient pas la géographie. Certes, les décorés seront toujours très nombreux chez nous, mais nos campagnards et nos citadins auront vu que le monde, hors d’Europe, n’est pas seulement peuplé d’ « Arabes » et de « Chinois. » Même les plus fermés aux idées générales savent maintenant que des peuples nouveaux et puissans ont surgi, et que la France n’est plus assez forte pour briser seule les coalitions. Mais les intellectuels et les primaires, les patrons et les artisans, les riches et les miséreux qui s’amalgament dans nos régimens ne s’attardent pas volontiers à raisonner sur l’économie politique. De l’électeur candide ou madré il ne reste plus que le soldat.

Pas plus en Orient qu’en France, le combattant de chez nous n’a la physionomie conventionnelle et caricaturale du « poilu » que les littérateurs de l’arrière ont vulgarisée. Il ne va pas dans la vie incertaine comme un héros antique, inaccessible aux sentimens et aux faiblesses des vulgaires humains. Son rire n’est pas inévitablement sublime, ses plaisanteries ne sont pas sans cesse farouchement héroïques ou héroïquement triviales, ses pensées ne se concentrent pas sur la « lutte du Droit et de la Civilisation contre la Barbarie » et sur le « bidon de pinard. » Chefs et soldats de toutes armes, transplantés en Macédoine, y sont ce qu’ils furent aux Dardanelles et sur le front français : simplement de braves gens.

Parfois ils songent à s’étonner des combinaisons qui les envoient combattre au loin, tandis que des étrangers, Anglais, Russes et Portugais, prennent leur place dans la défense de la patrie. Ils déplorent que le Corps expéditionnaire français ne soit pas exclusivement formé de guerriers voués par état et par