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goût aux campagnes d’outre-mer : coloniaux, auxiliaires exotiques, troupes de l’Afrique du Nord. Mais on leur dit que les soldats de l’Entente sont tous des frères ; que les marsouins et les bigors d’avant la guerre sont devenus rares, que les Sénégalais et les Annamites ne seraient pas assez nombreux, et que l’uniforme ne suffit pas pour faire un « Africain. » Alors, nos bons terriens réfléchissent ; la famille, le clocher ou la Bourse du Travail s’éloignent pour un temps de leurs souvenirs. Qu’ils portent sur leur casque l’ancre des coloniaux, le croissant des zouaves, la grenade des métropolitains, ils fraternisent sans arrière-pensée dans les relations occasionnelles du bivouac, de la bataille ou de la tranchée. L’esprit de corps étroit du temps de paix s’est transformé en émulation louable, qui a pour but immédiat le bon renom de l’Arme, ou l’éclat du numéro de régiment. Il en résultera par contre-coup une paix plus glorieuse et plus proche, et chacun s’en réjouit, car le mot « paix » n’a jamais résumé sur le front, malgré toutes les misères et toutes les angoisses, l’idée de paix à tout prix. Même chez ceux qui semblaient être les plus las de se battre, lorsque les Bulgares s’écriaient dans leurs tranchées, vers le 15 décembre : « Hé ! camarades, montrez-vous ! on ne tirera pas, car la paix va être signée ! » cet appel ne trouva aucun écho. Méfiance ? Peut-être. Sentiment confus que « ça ne pouvait pas finir comme ça ? » Sûrement.

Aussi, des privations qui eussent paru intolérables sur le front français sont-elles acceptées sans murmure. La paille, le bois, le vin même peuvent manquer quand les batailles se préparent. On n’incrimine pas l’Intendance, car on n’ignore pas qu’elle est mal outillée, que les routes sont mauvaises, que les camions transportent des cartouches et des obus, que les sous-marins rôdent dans la Méditerranée. Ils se contentent de peu quand ils savent que l’arrière « tient. » Ils ne comparent pas les cantonnemens de France aux masures macédoniennes que les canons rendent hospitalières à toutes les intempéries. Dans ces villages abandonnés, cloaques de boue et d’immondices, ils s’ingénient à réparer les béantes blessures des toits, à dessécher le sol humide qui leur sert de lit. ils font cesser dès leur début par un jovial. « Bah ! c’est la guerre ! » les exhortations et les encouragemens. Ils n’en ont pas besoin. Ils n’en ont pas besoin, même lorsqu’ils rêvent devant les cimetières rustiques où