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empressée, d’ailleurs trop naturelle envers vous !... » C’est du galimatias ; mais enfin, c’est du galimatias de M. Comte : et il le sait. Et il vante à Clotilde les mérites de son « intéressante famille. » Il se lance et il ajoute : « Une triste conformité morale de situation personnelle constitue encore, entre vous et moi, un rapprochement plus spécial. » Cette triste conformité, c’est, évidemment le fait que M. Comte et Mme de Vaux, mariés l’un et l’autre, soient l’un et l’autre séparés de leurs conjoints : il y a un M. de Vaux et il y a une Mme Comte ; cela, pourtant, sépare M. Comte et Mme de Vaux en quelque manière. La conformité « morale » serait plus indiquée entre le philosophe et une autre personne de la même famille, Mme Marie la mère, qui a le goût de la philosophie, et de la philosophie sociale, et qui a écrit un petit volume, Le Sculpteur en bois, où M. Comte saurait apercevoir du comtisme. S’il ne s’agit que de causer et d’épiloguer sur les destinées humaines, c’est à la mère que M. Comte doit songer. Il préfère la fille.

Il n’a rien d’un séducteur ; il est pesant, gauche : mais aucun roué n’eût été plus malin que lui, pour se glisser dans cette famille, pour y installer son habitude et pour s’en retirer, le moment venu, mais pour en retirer aussi l’objet aimé. Il fut obligeant, aimable. Et il avait du génie, un grand génie, dont il jouait à merveille, avec autant d’industrie que de sincérité. Les Marie, intelligens et pauvres, ne menaient pas une existence bien divertie ; les visites de M. Comte les ont flattés, les ont charmés. Un soir, dans le petit appartement de la rue Pavée, Auguste Comte et Maximilien Marie, les trois dames les entourant, causent, discutent ; les objections de l’élève animent le maître : et le maître est plus que jamais éloquent. Les idées passent, éclairées de lueurs splendides. Puis le sentiment succède aux idées ; plutôt, ce sont les idées qui, dans la ferveur de l’esprit, s’échauffent à devenir des sentimens. Soudain, le maître dit : « On ne peut pas toujours penser, mais on peut toujours aimer... » C’est une de ces petites phrases qui facilement tombent dans la causerie comme une pierre tombe dans l’eau. Mais Comte, au plus fort de la tendresse, surveille les ronds que font ses phrases. Il a dit : « On ne peut pas toujours penser, mais on peut toujours aimer ; » et il nota qu’il l’avait dit. Dans son Discours sur l’ensemble du positivisme, trois ans plus tard, il reprend sa formule et il l’arrange un peu : « On se lasse de penser et même d’agir ; jamais on ne se lasse d’aimer. » Et, en 1849, au cours d’une de ces cérémonies commémoratives qu’il organisait auprès de la tombe de Clotilde, au cimetière du Père de La Chaise, il déclare :