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les prétentions et, trop souvent, les entreprises couronnées de succès de l’Allemagne contre ces mêmes droits souverains et cette même neutralité [1]. Les hommes sont les hommes. Pris en masse, sous tous les climats, sous toutes les longitudes, ils s’inclinent devant la force heureuse dont rien ne vient balancer l’audace et que personne n’ose mettre en échec. Ç’a été une douleur pour les esprits doués d’un peu de clairvoyance que le déplorable incident du massacre, par un destroyer allemand, de l’équipage du sous-marin anglais échoué sur l’île danoise de Saltholm, en présence de torpilleurs danois, n’ait pas provoqué de la part de l’Entente des résolutions décisives auxquelles le peuple généreux du petit royaume scandinave, ce peuple qui s’est montré si noble à notre égard en 1814, et si noble, aussi, vis-à-vis de lui-même en 1864, se serait certainement associé, en dépit de la tyrannie que font peser sur lui les chefs socialistes qui viennent de se révéler agens consciens et décidés de l’Allemagne.

Ce fut une autre douleur lorsqu’on vit, l’automne dernier, une force aéro-navale [2] allemande bloquer impunément, pendant plusieurs semaines, le littoral Sud de la Norvège pour obtenir le retrait de l’ordonnance royale du 13 octobre 1916, au sujet de l’interdiction des fjords du Norrland aux sous-marins qui en faisaient leurs bases d’opérations contre les convois alliés destinés au port de Kola. Y eut-il jamais mépris plus complet des « droits souverains » d’une nation et violations plus cyniques des neutralités ? Que vient-on, après cela, nous parler d’un respect qui n’est qu’un leurre décevant, et auquel nous devons, dans une large mesure, la prolongation de cette terrible guerre [3] !

  1. « Pour battre l’Allemagne, il faut des méthodes nouvelles, diplomatiques aussi bien que militaires. » (Lord Esher, article déjà cité).
  2. Il est fort intéressant de remarquer, au strict point de vue militaire, que nos adversaires nous ont donné là un excellent exemple de la manière dont il faut tenir aujourd’hui le blocus d’une côte. Ils avaient d’ailleurs emprunté, — ils empruntent presque toujours, — la composition de la force aéro-navale en question à nos alliés les Anglais, qui en utilisaient une semblable dans le grand « raid » de reconnaissance de Cuxhaven, le 25 décembre 1914.
  3. Au moment même où j’écris ces lignes la presse norvégienne éclate en cris d’indignation à la découverte des complots allemands qui ont eu pour résultat la destruction d’un grand nombre de navires au moyen de bombes que les agens directs, officiels même, du gouvernement de Berlin faisaient introduire dans les cales ou dans les appareils moteurs. On signale les mêmes faits en Suède et si l’on n’ose encore en parler à Copenhague, où certainement les mêmes attentats ont été commis, c’est que l’on se sent plus immédiatement menacé par l’Allemagne, dont la rage pourrait se traduire par des actes décisifs, pense-t-on. Mais non ! Nos adversaires savent trop bien quel bénéfice ils tirent du bouclier que leur fournit l’archipel danois, tant que le royaume reste neutre.