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Le 21 février, de 7 heures 15 du matin jusqu’à cinq heures du soir, eut lieu la première « préparation » d’artillerie : elle fut effroyable : rien que des obus lourds, qui écrasaient tout, nivelaient tout. Comment les vagues d’assaut trouvèrent-elles des hommes encore vivans pour leur résister, pour les accueillir à coups de fusil et de mitrailleuses ? C’est le secret de l’ingéniosité française, et, plus encore, de l’héroïsme français. Et durant des jours et des jours, il en fut ainsi. Subir pendant des heures interminables des bombardemens terribles, se blottir, s’accrocher, se terrer où l’on peut, se coucher par terre et feindre la mort, quand passe un avion allemand, grelotter sous la pluie, sous la neige, ne pas dormir, souvent n’avoir rien à manger ni à boire, voir à côté de soi tomber des camarades atrocement déchiquetés, entendre les cris des blessés et les râles des mourans, et tenir, tenir jusqu’au bout, jusqu’à la mort, parce qu’il le faut, parce que c’est la consigne et le devoir, parce que la France d’hier, et celle de demain, l’exigent ; puis trouver encore la force de franchir en courant d’aveuglans tirs de barrage, de faire le coup de feu contre les hideuses faces convulsées de ces Boches gorgés d’alcool et d’éther, qui sans relâche s’avancent en chantant, contre-attaquer à la grenade, à la baïonnette ou en de sanglans corps à corps : telle est la vie épuisante, sinistrement pathétique, de nos soldats dans cet enfer de Verdun. Et comme toute l’armée française, successivement, a passé à Verdun, voilà de quel effort a été capable ce peuple « dégénéré » dont, en un mois, les dirigeans de Berlin se flattaient de venir à bout.

Cependant, les premiers assauts, s’ils n’avaient pas donné tout ce qu’en attendait l’Empereur, venu pour assister à la prise de l’inexpugnable ville et pour y faire une prompte entrée triomphale, avaient sérieusement entamé nos lignes de défense. Nous reculions pied à pied, vendant chèrement à l’ennemi le moindre pouce de terrain, mais nous reculions. Devant certaines débauches d’obus, il n’y a pas d’héroïsme, — surtout pas d’héroïsme à demi désarmé, — qui puisse tenir. Le 24, la situation est si grave que le général commandant le groupe des armées du centre n’est pas loin de la juger désespérée. Elle l’eût été sans doute si les Allemands l’avaient exactement connue, et s’ils avaient eu plus d’audace. Elle va être, en quelques heures, rétablie par l’un des deux ou trois chefs dont la guerre aura