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consciens, qui ont provoqué la décision du Président Wilson, et qui ont peu à peu rallié la très grande majorité de l’opinion américaine.

Mais, à côté des idées « claires et distinctes, » il y a des sentimens obscurs et profonds qui, chez les peuples comme chez les individus, entraînent à l’action, et sans la complicité desquels les idées pures risquent de demeurer éternellement inactives. Or, les Etats-Unis n’ont jamais oublié qu’ils devaient au généreux concours de la France leur indépendance nationale, et la vive sympathie qu’ils nous ont toujours témoignée depuis lors n’a pas d’autre origine. Quoi qu’en disent les sceptiques et les pessimistes, l’ingratitude — déjà l’attitude de l’Italie nous en avait été une preuve — est un vice qui, même chez les nations soi-disant réalistes, est moins fréquent qu’on ne l’a parfois prétendu : la Bulgarie et la Grèce — celle de Constantin, et non celle de Vénizélos — n’ont point fait partout école. Aux Etats-Unis, La Fayette et Rochambeau sont encore des noms vénérés, et plus peut-être que partout ailleurs, on eût ressenti fortement là-bas la douleur d’une défaite française. Lorsque, contre l’attente générale, on vit la France non seulement invaincue, mais victorieuse, quand on la vit, calme et grave, improviser, organiser sa défense, maîtriser peu à peu la supériorité matérielle du redoutable adversaire, quand on la vit, avec une ténacité indomptable, résister seule à Verdun, supporter sans faiblir l’effroyable tempête de fer et de feu, et, à force d’héroïsme, de patience, de sang-froid et de génie militaire, contenir l’envahisseur, puis le dominer et le repousser, alors l’affection, la tendresse émue et apitoyée firent place, dans les cœurs, à un sentiment de chaleureuse admiration, et presque de remords. On s’en voulut d’avoir méconnu la France et d’avoir, parfois, douté d’elle. On eut un peu honte de n’être pas à ses côtés pour défendre contre l’ennemi du genre humain une cause manifestement juste, et chère de tout temps aux démocraties américaines. Nulle part plus qu’aux Etats-Unis on n’a été sévère aux atermoiemens, aux scrupules, aux prudentes, et peut-être sages hésitations du Président Wilson. Et quand enfin l’intervention fut décidée, elle provoqua, et surtout en faveur de la France, un élan d’enthousiasme dont chaque jour nous apporte les vibrans échos. Ce sont les « impondérables » qui déterminent les grands événemens de l’histoire,