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et peut-être Verdun a-t-il plus fait que le torpillage de la Lusitania pour entraîner dans la sainte Alliance la grande République d’outre-mer[1].

Ce qui est sûr, c’est que l’entrée en guerre des États-Unis a soulevé dans toute la France une joie telle que nous n’en avons pas éprouvé de semblable depuis la victoire de la Marne. Et même Paris, qui n’avait pas pavoisé après la bataille de la Marne, a pavoisé à la nouvelle de l’intervention américaine. Certes, cette intervention nous a tous réjouis, comme l’un des gages les plus sûrs de notre décisive victoire, et il n’est pas un Français qui ne se soit rendu compte, dans une guerre d’usure, comme celle que nous subissons, de l’importance incalculable d’un facteur tel que celui de la puissance matérielle de nos nouveaux alliés. Mais si nous avons apprécié à sa juste valeur ce facteur formidable, idéalistes incorrigibles que nous sommes, nous avons encore bien mieux senti l’incomparable portée morale de l’acte si lentement mûri de la grande démocratie du Nouveau Monde. Ainsi donc, nous ne nous étions pas trompés ! Quand nous disions que, non contens de nous battre pour notre existence menacée, nous nous battions pour défendre les droits de tous les peuples libres et les principes essentiels sur lesquels repose toute civilisation humaine, — et quel est celui de nos soldats qui n’ait cette conviction au cœur ? — nous n’étions pas la dupe d’un mirage ! Nous ne nous étions pas grisés de mots sonores et vides ! Il y avait donc au monde autre chose que la force ! Et la réalité morale était bien une réalité ! Voici qu’un peuple, tout un peuple se levait, pour prononcer entre nos adversaires et nous le jugement de l’histoire. Et dans des conditions d’autorité, de désintéressement et d’impartialité admirables, c’est à nous qu’il donnait raison, pleinement raison. Il épousait sans réserves notre juste cause. Il s’associait de tout son cœur à notre croisade. Il dénonçait au monde entier les forfaits de l’Allemagne impériale. Il vouait à l’exécration universelle sa funeste caste militaire, son armée de pillards et d’incendiaires, de violateurs de tombes[2], de tortionnaires et d’assassins

  1. Un ancien ambassadeur américain disait à M. Viviani : « Nous vous avons toujours aimés ; après la Marne, nous vous avons admirés ; depuis Verdun, nous vous respectons. »
  2. Violateurs de tombes, les Allemands l’étaient déjà lors de l’expédition de Chine. Voyez là-dessus les Derniers jours de Pékin, par Pierre Loti, p. 84-85, et notre Pro Patria, t. II (Bloud, in-16, p. 32-35.