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dress : war, you know. Une autre illusion remplaçait celle qui venait de se rompre. Le château du vieux temps français se muait en country seat. Que de fois, de l’autre côté de la Manche, on avait reçu ce même accueil !

Alors, dans une chambre qui a gardé ses meubles et presque son odeur d’autrefois, par la fenêtre trouvée grande ouverte (comme toujours en Angleterre), on goûtait la paix secrète, l’intimité de ce domaine fermé. Je voyais une prairie redevenue sauvage, dans le cadre circulaire et ténébreux d’une vieille futaie. Et par devant, quand on se penchait, des fleurs, toutes les fleurs de Juin, une profusion de folles fleurs.

Hautes et froides, elles semblaient, en leur vie si brève, plus merveilleusement apparues sur ces fonds de brume pâle et de nuit.


Nous avons passé trois soirées et trois nuits dans cette calme maison, et si j’y arrête un instant le récit d’une visite au front anglais, c’est que l’idée, la manière, on peut dire le style d’une telle hospitalité sont si caractéristiques, en harmonie avec tant d’aspects et façons d’être qui nous ont frappé, de l’armée anglaise ; c’est qu’on y apprenait ce que nos alliés peuvent apporter de leurs traditions les plus significatives, en France, au milieu de la guerre.

L’idée qui se traduisait là est d’origine aristocratique ; elle subsiste, comme beaucoup de traits de même essence, en pleine démocratie. Elle vient de ces manoirs dont les habitans furent les modèles de Gainsborough et de Reynolds, les héros des romanciers, depuis Addison jusqu’à Meredith, et composèrent si longtemps la personne active et visible de l’Angleterre. De cette gentry qui vivait dans ses terres, les mœurs, les disciplines, tout l’idéal de vie s’imposèrent, par l’effet d’un prestige qui reste l’un des principes de la société d’outre-Manche, à la bourgeoisie montante du XIXe siècle, et de proche en proche, plus ou moins atténués, mais gardant toujours quelque chose de leur essence, à toute cette Angleterre d’aujourd’hui que Galsworthy a définie : « un mélange inintelligible à l’étranger d’aristocratie et de démocratie, » et Kipling : « une démocratie d’aristocrates. »

Ainsi le manoir est devenu, demeure le modèle dont toute