Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/655

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec Brooklyn et de Staten Island. Ici, dans une activité de fièvre, travaille une gigantesque ruche de six millions d’hommes, qui ne cherchent pas le dollar pour le dollar, dans une cupide idolâtrie du veau d’or, mais qui le veulent pour le mettre au service des grandes idées communes à la France et à l’Amérique, que, dans l’avant-port, la statue de la Liberté symbolise. Ce n’est pas cette statue seulement, mais la ville, qui mérite le beau salut en prose de Ruben Diario : « A toi, prolifique, énorme, dominatrice ! A toi, Notre-Dame de la Liberté ! A toi, dont les mamelles de bronze nourrissent un nombre incalculable d’âmes et de courages ! A toi, qui te dresses solitaire et magnifique dans ton îlot, en levant ta torche divine ! »

De Philadelphie, le train spécial vient, en moins de deux heures, de conduire la mission, face à la ville, sur l’autre rive du fleuve. En bas, vers l’Océan, la statue de la Liberté s’estompe confusément dans une forte brume. Alertes, les voyageurs montent promptement dans un petit bateau de la police du port, qui, bientôt, fend doucement la houle couleur de sable de la baie. De la masse épaisse du brouillard, qui en efface les bords, perce immédiatement, pendant plusieurs minutes, le ‘déchirant sifflet des milliers de sirènes des navires : grands paquebots, cargo-boats, ferrys, simples remorqueurs, unis pour adresser aux représentans de la nation alliée, en une symphonie à une seule note, aiguë et stridente, le salut du plus grand port du Nouveau Monde et même, en ce moment, de la terre.

Et, dans son île de fer et de pierre, New-York, la cyclopéenne capitale du chèque, sort du brouillard, avec ses châteaux forts aux mille tours. Leur indécise silhouette prend, à mesure que l’hélice tourne, un relief plus accusé. Sur le fond terne d’un ciel gris se lève, au-dessus des eaux, la ligne de faîte, inégale, qui tour à tour monte et descend, des gigantesques gratte-ciel, gardiens géans des trésors accumulés dans l’île, que les Hollandais, il y a trois cents ans, achetaient aux Peaux-Rouges pour quelques écus et dont la fortune aujourd’hui se chiffre par milliards.

Dans l’historique Battery Place, où les premiers colons abordèrent, maigre square délabré étroitement serré entre le fleuve et la pierre, que les hauts « buildings » cernent de la perspective profonde de leurs toits étages, attendent, malgré l’aigreur