Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/781

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demandant si le thomisme, tel qu’il s’exhibait à Louvain, était bien, en définitive, un thomisme authentique : on observait que, parlant français, il employait une langue qui n’était pas celle de saint Thomas ; et la suite prouva que l’observation portait loin, et qu’elle visait haut.

Les efforts convergèrent pour ébranler la confiance de Rome en Mgr Mercier : un formidable assaut fut livré. Un jour de 1896, Mgr Mercier s’en fut à Rome, soudainement, pour parer les coups. Des ennemis l’y devancèrent, l’y suivirent, occupèrent les avenues et tinrent pour certain qu’il s’en retournait découragé. Il n’en fut rien. Il eût pu sortir élégamment des difficultés en acceptant un poste honorifique dans une grande paroisse de Bruxelles : il refusa. Abdiquer, c’est bon pour des sceptiques : il croyait en son œuvre. Il traversa des heures tragiques, mais ne désespéra jamais. Sur le linteau de sa cheminée, une inscription portait ces mots : Labora sicut bonus miles Christi, travaille comme un bon soldat du Christ ; il la montrait à ses étudians, il y obéissait lui-même et poursuivait, sans trêve, humblement, son travail menacé.

Léon XIII continuait d’observer : au delà des dénonciations locales qui avaient desservi le prélat, il regardait l’Ecole de Louvain s’essaimer, de petits centres de renouveau thomiste se fonder sous de lointaines latitudes, les élèves de Mgr Mercier multiplier en de nombreuses langues les traductions de ses livres, la Revue néo-scolastique se propager [1]. Et ces succès étaient dus à l’esprit dont s’animait l’Ecole de Louvain, à la langue aussi qu’elle parlait, et qui lui permettait d’être, parmi les laïcs, une efficace missionnaire du thomisme. L’année 1898 rendit à l’Institut de Louvain, sous la forme d’une lettre du cardinal Satolli, un témoignage de l’approbation romaine et la permission de faire largement usage du français ; et lorsque, à la fin de 1900, Léon XIII reçut en audience les pèlerins de l’Institut, il leur dit avec fierté :


Je suis heureux de voir à votre tête les professeurs de l’Institut supérieur de philosophie fondé par moi. Non seulement les études supérieures que Mgr Mercier dirige servent aux clercs, mais elles servent aussi aux laïques qui sont venus étudier la philosophie, même après avoir déjà pris d’autres grades : tel, De Lantsheere, qui vient

  1. Pelzer, L’Institut supérieur de philosophie à l’Université catholique de Louvain (1890-1904), p. 20 et suiv.