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en graine, quelque peu minaudière et prétentieuse, qui se pousse, tant qu’elle peut, afin de grandir sa petite taille :

— Avez-vous vu ce petit « pinéguet ? » s’exclamait ma grand’mère d’un ton narquois. Qui est-ce qui m’a bâti un « pinéguet » de cette espèce-là ?

Rien que la façon pincée dont elle prononçait ce mot de « pinéguet » évoquait toute la prétention de la jeune mijaurée et son effort désespéré pour hausser la plume de son chapeau et conquérir l’attention des grandes personnes. Il lui arrivait même quelquefois d’employer le patois des gens de la campagne, quand elle ne savait comment exprimer son aversion pour la figure de certains nourrissons mal venus :

— Oh ! le peut’ offant ! disait-elle, en se voilant la face.

« Le vilain » ou « le hideux enfant » ne traduirait pas tout ce que cette expression campagnarde signifie de laideur grossière et triviale. Et de même, les mots du vocabulaire français échouent à traduire les variétés de pleurnicheries enfantines que nos mots lorrains exprimaient d’une façon si vive et si directe. Ma grand’mère ne s’y trompait jamais, elle appelait les choses. par leur nom. C’est ainsi qu’elle disait, lorsque nos sanglots s’achevaient dans une sorte de geignement sourd et continu :

— Auras-tu bientôt fini de « hogner ? »

« Hogner » ce n’était pas précisément grogner, ni pleurer ni sangloter ; mais c’était un peu de tout cela. Et il y avait aussi « chigner » qui voulait dire encore autre chose. « Chigner » c’était pleurer pour rire, pour apitoyer une grand’maman inexorable. Ce n’était ni sérieux, ni honnête. Aussi nous déclarait-elle de son air le plus farouche :

— Je ne veux pas de « chigneurs » ni de « chigneuses » au logis !

Mais pour le coup, elle sortait hors de ses gonds, lorsqu’elle nous entendait pleurer, en poussant des cris aigus, comme gorets conduits en foire :

— Il n’y a pas de bon sens de « pincher » comme ça !... Allons ! que ce soit fini ! Et torchez vos yeux !

Car « pincher, » ce n’était pas seulement pousser des cris perçans, mais c’était grincer comme une corde de violon faussée, c’était racler atrocement les nerfs de notre pauvre grand’mère. Pourtant elle ne se fâchait pas, ou si peu qu’il fallait