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vraiment que ce fût, comme on disait à Briey, pour « faire mention. » On aurait cru qu’avec les années elle avait perdu jusqu’à la faculté de s’émouvoir, elle qui, autrefois, était si peu endurante, qui s’exaspérait contre ses filles, lorsque celles-ci plaquaient des fausses notes sur le piano, en estropiant les morceaux simplets de la méthode :

— Victorine, finissez ! Vous me sciez le dos ! Vous ne faites que « holquiner ! »

Mais ces accès d’humeur n’étaient plus, de mon temps, qu’un souvenir historique déjà si lointain que je n’entrevoyais que confusément ce que pouvait bien signifier, dans la langue de ma grand’mère, ce mot de « holquiner. » Il fallait que nous eussions été bien méchans pour qu’elle levât le bout de sa canne, en grondant d’une voix cassée :

— Ah ! matin ! Je te « gûgne ! »

A la messe, lorsque nous étions dissipés, ou lorsque nous nous faisions remarquer en tournant continuellement la tête, celle-ci, qui occupait le premier banc derrière le nôtre, nous « gûgnait, » pour nous obliger à nous tenir tranquilles : ce qui se réduisait à nous donner une légère tape sur la nuque avec le dos de son paroissien. Ses corrections étaient des plus bénignes. Et cependant, par habitude, elle tonnait contre le « libertinage » des enfans, et elle les menaçait d’une « houssine » imaginaire, qui, du moins pour nous, ne sortit jamais du hangar aux fagots. Quelquefois aussi elle criait du ton le plus impressionnant :

— Si vous continuez à être libertins, vous aurez pour goûter une « tartine à la gaille ! »

Dans notre patois lorrain, une « gaille » c’est une chèvre. Cela, je le savais. Mais qu’est-ce que pouvait bien être cette terrible punition de « tartine à la gaille » dont nous épouvantait le courroux de notre aïeule ? Longtemps, je m’imaginai que c’était être condamné à manger son goûter dans l’étable des chèvres. A dessein, pour nous terroriser, ma grand’mère évitait de préciser ce vague épouvantail. Ce n’est que plus tard que j’en eus le fin mot par mes tantes, qui, elles, en avaient tâté : « la tartine à la gaille » consistait en un morceau de pain sec trempé dans de l’eau, et saupoudré de quelques grains de sel. En somme, la pénitence n’était point si dure.

Il en était de cela comme de tous les châtimens que la