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n’est pas, jusqu’au Soviet qui, sous réserve des formes, ne s’associe à notre revendication, et que la chancellerie impériale ne renonce à échauffer ou à refroidir sur l’Alsace-Lorraine. Mais elle a cru qu’il en irait bien autrement de la rive gauche du Rhin, surtout en y mêlant les sinistres projets du tsarisme exécré. Elle a cru souverainement habile de marier à nouveau, après la lettre, le tsar et la République française. Et elle n’a pas visé la Russie seulement. Ailleurs encore, de l’autre côté de l’Océan, les mots d’annexions et de conquêtes pouvaient faire dresser l’oreille dans un geste ombrageux. Divide et impera, disait l’autre ; mais il avait la manière. M. Michaëlis ne l’a pas ; il découvre trop son jeu ; il montre trop la patte. Ce n’est pas du bel ouvrage. La double fin de sa machination se voit des extrémités de la planète : soutenir l’esprit de guerre en Allemagne, et le faire baisser dans l’Entente, troubler les Alliés et attendrir les neutres, en feignant que l’Allemagne veut une paix raisonnable que la vorace Entente s’obstine à repousser. Cependant, avec une maladresse qui a l’air d’une flatterie, le comte Czernin appuie la manœuvre. Lui, c’est à l’Angleterre qu’il s’adresse. Il affecte de prendre au bond une phrase de lord Robert Cecil disant : « L’Autriche-Hongrie n’est pas notre principal ennemi. » Qu’est-ce à dire, pour le comte Czernin ? Il supprime l’épithète, comme évidemment déplacée, et c’est-à-dire : « L’Autriche n’est pas notre ennemi. » Sur quoi, tout allié qu’il est de l’Allemagne qui matin et soir prie Dieu de punir l’Angleterre et de faire de l’Empereur le ministre de ses vengeances, il offre tranquillement son arbitrage.

De l’une et de l’autre démarche, nous concluons que les Empires du Centre, ainsi que nous l’avons dit, veulent encore la guerre, mais qu’en dépit de chances militaires que la complexité même de l’Entente fait reverdir à chaque saison, ils la peuvent de moins en moins, et ne la pourront bientôt plus. Cette guerre n’est point une guerre ordinaire : plus de la moitié de l’univers y est en lutte contre quatre puissances, deux grandes et deux petites, sous le régime des nations armées, mais armées de tout ce qu’elles possèdent ou se procurent, population, production, richesses, subsistances, industrie, capacité d’achat et de transport. Il est possible qu’elle se termine par une victoire qui ne soit pas une action spécifiquement militaire, par une défaite qui soit surtout une faillite ou une défaillance. Mais ce qui est tout à fait impossible, d’une impossibilité physique et mathématique, c’est qu’à la longue, l’univers ne l’emporte pas.

Tandis que le chancelier s’occupait, avant de commencer ses