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venu de Péronne, un de ses camarades de tout à l’heure, sans doute. Tous deux se rapprochant descendent vers Roye où je m’apprête à leur couper la route. 2 000, 3 000, 4 000 mètres d’altitude, mon oiseau cabré bondit vers le firmament de toute sa puissance, l’hélice n’est plus qu’un disque de flammes ! Soudain le fugitif, que je ne quitte pas des yeux, explose en une gigantesque boule de feu. Qu’arrive-t-il ? Je retire mes lunettes, passe le nez hors du pare-brise ; pas d’erreur, car le vainqueur, celui que j’avais pris pour un deuxième ennemi, exécute, de contentement assurément, une vertigineuse descente en vrille.

L’appareil embrasé tombe à une vitesse folle, tel un caillou, pendant près d’un millier de mètres ; puis la chute se ralentit, les parties plus lourdes, rongées par l’incendie, se sont détachées ; seul le fuselage, dressé en une gigantesque torche, descend lentement et s’écrase à deux pas de nos premières lignes. Une invincible horreur me pénètre jusqu’aux moelles. C’est un ennemi qui tombe, mais un homme après tout, et peut-être, dans cinq minutes, connaitrai-je le même infernal supplice. Alentour, la vie s’est arrêtée, semble-t-il ; dans l’espace où nous errons, « le temps suspend son vol. » Les shrapnells cessent d’éclater, les oiseaux mécaniques qui peuplaient le ciel ont disparu. En bas des tranchées, il me semble seulement entendre monter vers l’azur les hurlemens d’angoisse ou d’enthousiasme des deux camps, témoins impuissans du duel aérien. Ce ne fut qu’un instant ; chasseur passionné et attentif, je repris ma poursuite de l’homme à travers les cieux.

Sitôt atterri, j’appris que Guynemer venait d’abattre en flammes son dix-huitième avion ennemi près de roye et que lui-même, atteint par un obus, était tombé dans nos lignes. Ce que j’avais pris pour des farandoles d’enthousiasme n’était que le début de sa chute.

À quelques jours de là, j’eus le plaisir d’être présenté au héros en personne, encore contusionné de sa vertigineuse descente, mais vibrant des trois victoires successives qu’il venait de remporter à vingt minutes d’intervalle, la dernière sur le Boche que j’avais si vainement attaqué. Avec quelle curiosité écoutais-je celui qu’au début de sa carrière, son capitaine appelait familièrement « le gosse ! » À peine jeune homme, à vingt et un ans, Guynemer épinglait à sa poitrine la Légion