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avait renoncé, à la cavalerie pour s’engager dans l’infanterie, et ne commandait sa compagnie que depuis un mois. Agé de vingt-cinq ans, appartenant par sa famille à la haute société protestante de Paris, de mâle et beau visage, de nature délicate et d’âme religieuse, il donnait à tout le monde une impression de charme, de sensibilité et de finesse. Un de ses camarades écrivait de lui dans une lettre : « Il m’a témoigné tout de suite, presque sans me connaître, une si bonne confiance que l’on s’aimait déjà. Je n’étais alors que sous-officier, et il me traitait déjà en égal… Jacques devint vite pour moi le cœur où l’on aime à s’épancher. Quoique de religion différente, seul sujet dont nous n’ayons jamais parlé ensemble, nous sympathisions en tout… J’allais souvent le voir dans sa chambre, et j’ai trouvé sur sa table certains livres de piété dont l’usure prouvait un usage fréquent… » Un autre aimait à rappeler la fougue avec laquelle, au sortir de l’Ecole, ils entraînaient ensemble leurs chevaux, et comment ensuite, dès la guerre, ils faisaient des reconnaissances d’où ils avaient failli souvent ne pas revenir. Il ajoute : « C’était un brave, et nous aimions à causer de guerre ensemble. Nous nous comprenions et nous nous aimions. » Aimer la guerre et ses compagnons de guerre, tout le capitaine de Visme était là ! Son changement d’arme avait été pour lui un véritable drame intérieur. Passionné pour la cavalerie, mais n’y trouvant pas l’activité désirée, désolé d’y laisser des camarades auxquels il s’était attaché de cœur, mais décidé à tout pour servir comme l’y poussait son impatience du combat, il avait vivement souffert de quitter son corps et ses hommes, mais n’en annonçait pas moins avec triomphe à ses parens son passage au 146e, et sa nomination de capitaine de mitrailleurs. Un mois plus tard, son régiment recevait l’ordre de se rendre à une destination gardée secrète, et gagnait alors Chaumont-sur-Aire, pour être transporté de là sur un autre point en camions-autos, pendant que le bataillon de mitrailleurs devait continuer sa marche à pied.

Personne, parmi les soldats, ne savait où l’on allait, mais le colonel, au moment du départ, avait confié à son entourage :

— A vous, je ne vous le cacherai pas, nous sommes appelés à une mission de sacrifice complet… Les Allemands avancent avec une artillerie formidable, et nous n’avons rien !

À cette heure sombre, et dans cette nuit glaciale, les