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monde des corps, mais le monde des âmes, — comme un ensemble de phénomènes liés, dont il s’agit, à l’aide de la seule raison critique, d’étudier passivement les relations et de découvrir, ou plutôt d’enregistrer les lois : telle est la notion qu’expriment ou que suggèrent tous les grands livres du temps. On distinguait jadis entre les sciences morales et les sciences physiques. Cette distinction doit être abolie. Il n’y a qu’une science, la science positive, pour ne pas dire la science mathématique ; et l’on ne désespère pas de trouver un jour la formule unique qui contient toutes les autres et qui nous donnera l’explication totale de l’univers. Cette science, à son tour, pour pouvoir se constituer, suppose que tout dans la nature est régi par la loi de l’universel mécanisme : la liberté, le miracle, le surnaturel sont des illusions d’un autre âge. Le nouveau rationalisme a réponse à tout et il suffit à tout : « Dans cet emploi de la science, écrivait Taine, et dans cette conception des choses, il y a un art, une morale, une politique, une religion nouvelles, et c’est notre affaire aujourd’hui de les chercher. »

À ces paroles de Taine font écho les esprits les plus divers. « L’art et la science, — disait déjà Leconte de Lisle dans la Préface de la première édition de ses Poèmes antiques, — l’art et la science, longtemps séparés par suite des efforts divergens de l’intelligence, doivent désormais tendre à s’unir étroitement, sinon à se confondre. L’un a été la révélation primitive de l’idéal contenu dans la nature extérieure ; l’autre en a été l’exposition lumineuse et raisonnée. Mais l’art a perdu cette spontanéité primitive ; c’est à la science de lui rappeler ses traditions oubliées qu’il fera revivre dans les formes qui lui sont propres. » Et Renan, dans l’Introduction de sa Vie de Jésus : « Ce n’est pas au nom de telle ou telle philosophie, c’est au nom d’une constante expérience, que nous bannissons le miracle de l’histoire. » La science est pour lui le « grand agent de la conscience divine. » « Organiser scientifiquement l’humanité, — dira-t-il encore, avant Ostwald, dans l’Avenir de la Science, — tel est donc le dernier mot de la science moderne, telle est son audacieuse, mais légitime prétention. » Et Berthelot d’écrire à son tour : « C’est la science qui établit seule les bases inébranlables de la morale. » Et ailleurs, dans la Préface de ses Origines de l’alchimie : « Le monde est aujourd’hui sans mystère ; la conception rationnelle prétend tout éclairer et