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II

La guerre de 1870 éclate. Et, tout d’abord, en dépit de l’ébranlement produit dans les consciences par nos désastres, il ne semble pas que rien soit changé dans les dispositions des esprits. Tout au plus peut-on noter que la défaite a développé en eux un profond dégoût et un fâcheux mépris de l’action Mais la science, qui avait été du reste l’un des facteurs des victoires allemandes, n’a rien perdu de son prestige, et l’on ne cherche pas à discuter ses bienfaits. Les théories de Darwin, popularisées et vulgarisées plus que repensées par Spencer, se répandent et se font accepter des esprits les plus divers; elles ne font au surplus que corroborer et préciser les vues, d’ailleurs déformées, de Hegel sur le devenir universel. Sous ces différentes influences, toute une école littéraire se forme, l’école naturaliste, qui, poussant à bout les principes de la génération précédente, revendique le droit d’ignorer l’âme et de peindre le corps dans toutes ses attitudes, fût-ce les plus désobligeantes. Sous prétexte d’être sincère et d’être vrai, d’appliquer les dernières découvertes de la psycho physiologie et les plus récentes conceptions de la science, de collaborer à la grande œuvre moderne, qui est l’œuvre proprement scientifique, Zola et ses disciples se sont improvisés les théoriciens, — et les praticiens, — non pas du « roman expérimental, » comme ils le déclaraient ambitieusement, et ce qui ne veut d’ailleurs rien dire, mais du roman physiologique.

Parmi leurs aînés, les écrivains naturalistes se recommandaient surtout de Taine. Or ce dernier, non content de décliner, toutes les fois qu’il en trouvait l’occasion, une paternité intellectuelle qui lui faisait littéralement horreur, s’employait, dans la dernière partie de son œuvre, à ruiner une partie des conclusions de la première. Non pas, bien entendu, qu’il eût nullement conscience de celle sorte de désaveu : sa méthode, ses idées générales, en un certain sens, son altitude d’esprit sont restées les mêmes; mais les jugemens qu’il porte sur les faits et sur les hommes, ses loyales constatations, ses étonnemens mêmes, tout cela implique, sinon une philosophie nouvelle, tout au moins la conviction naissante que la science n’est pas le tout de l’homme, et qu’au delà, ou au-dessus de son champ