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spiritualisme moderne, de l’accorder avec les données essentielles de la révélation chrétienne, et, d’autre part, avec les nouvelles conceptions philosophiques et scientifiques. Mais il était poète, et artiste, et, partant, un peu dilettante. Il répugnait aux longs efforts continus, aux livres développés et multipliés, au dogmatisme persévérant et volontaire, bref, à l’apostolat intellectuel. Il s’est contenté de montrer de haut la voie à suivre, et dans un très beau style un peu sibyllin, de prodiguer les indications ingénieuses et fécondes, les intuitions pénétrantes, les vues profondes et, parfois, prophétiques. Fontenelle disait que, s’il avait la main pleine de vérités, il la garderait scrupuleusement fermée; moins égoïste que Fontenelle, Ravaisson s’est contenté de l’entr’ouvrir.

Quels que fussent le talent ou l’autorité de semblables adversaires, il leur était difficile de disputer la faveur publique à un Taine ou à un Renan, — qui semblaient avoir toute la science et tous les savans derrière eux, et qui, en tout cas, avaient avec eux, non seulement la jeunesse, que leurs tendances iconoclastes leur avaient tout naturellement ralliée, mais presque toute la littérature contemporaine. Par réaction contre le romantisme, en effet, la plupart des écrivains d’alors ne visaient qu’à Inobservation, à la description, à l’analyse de ce qu’ils appelaient « la réalité. » C’est le moment de la « littérature brutale. » « Ce moment, écrivait J.-J. Weiss, s’est marqué dans Madame Bovary, dans les Faux Bonshommes, dans le Demi-Monde, le Fils naturel, les écrits philosophiques et historiques de M. Taine : toutes œuvres que caractérisent la conception mécanique de l’âme humaine, un mépris singulier de l’homme, un style sec et tranchant, circonscrit dans la notation impassible des effets et des causes. » « Anatomistes et physiologistes, s’écriait à son tour Sainte-Beuve, à propos de Flaubert, je vous retrouve partout ! » Et c’était vrai. Et lui-même se remettait à leur école. La critique, le roman, l’histoire, même la poésie et le théâtre, tous les genres, toutes les œuvres s’inspirent de la science, tendent à se pénétrer d’esprit scientifique. La philosophie que recouvrent ou que suggèrent tous les livres considérables du temps, c’est exactement celle que Taine va prochainement formuler dans l’Intelligence.