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ont singulièrement préparé les voies aux philosophes leurs contemporains, ou leurs successeurs.


III

Car ces derniers, spéculant à leur manière sur l’âme humaine et sur la science, aboutissaient de leur côté à des conclusions très voisines de celles que nous venons d’enregistrer.

L’un de ceux qui ont eu le plus d’influence sur la pensée française de ce dernier demi-siècle est sans contredit un homme qui vient de mourir, dont l’œuvre imprimée se réduit à un tout petit volume, — lequel est d’ailleurs un chef-d’œuvre de notre langue philosophique, — mais qui, par son enseignement à l’Ecole normale, a éveille de nombreuses vocations, et les a orientées dans le sens d’un nouvel idéalisme critique. M. Lachelier a montré que la science positive ne saurait se suffire à elle-même, et qu’elle repose tout entière sur un postulat méta- physique. « Le momie, disait-il, est une pensée qui ne se pense pas suspendue à une pensée qui se pense. » Il est d’ailleurs difficile, d’après son livre Du fondement de l’induction (1871), de se représenter avec exactitude toute la doctrine de M. Lachelier. Un jour sans doute nous saurons comment, par quels procédés dialectiques, il a su concilier, — au grand étonnement et au grand scandale de Renan, — une rigueur et une liberté de critique que les plus hardis penseurs pourraient lui envier, et une foi métaphysique, morale et religieuse à laquelle la vie semble n’avoir jamais porté aucune atteinte. Nourri des grands philosophes, en particulier de Kant, et aussi, je crois, de Pascal, M. Lachelier a été trop modeste; il a formé d’excellens élèves; il a suscité d’ingénieuses et fécondes pensées; il nous a trop caché la sienne.

A l’inverse de M. Lachelier, Alfred Fouillée a beaucoup écrit. Esprit brillant et facile, trop facile peut-être et trop fécond, tout pénétré de l’idéalisme platonicien, faisant d’ailleurs au scientisme sa large part, il s’est efforcé de constituer une philosophie des « idées-forces, » au nom de laquelle il a toujours maintenu très fermement la libre activité de l’esprit. A cet égard, l’un de ses meilleurs livres, la Liberté et le Déterminisme, est resté jusqu’au bout l’expression d’une de ses idées les plus constantes.