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guère été favorables aux thèses générales du scientisme : ils avaient trop d’esprit de finesse, une expérience trop intime des réalités morales pour ne pas sentir qu’« il y avait dans le monde plus de choses que cette philosophie n’en pouvait expliquer. » D’autre part, l’internationalisme, même intellectuel, — que légitime et qu’entretient le scientisme, — a eu en eux des adversaires résolus. L’idée de patrie est l’une de celles qu’ils ont tous deux le plus constamment défendues contre les assauts multipliés qu’on dirigeait contre elle. Et quant à Eugène-Melchior de Vogüé, si, moins dédaigneux que Jules Lemaitre des apports de l’étranger, il les accueillait avec une certaine complaisance, c’était avec l’arrière-pensée d’en enrichir la tradition française, de mieux se conformer à cette tradition même. Au demeurant, aussi préoccupé que les autres des destinées de la patrie, il ne cessait de prêcher la réconciliation nationale, et, sans nier le moins du monde les droits et les progrès de la science, il voyait surtout l’avenir spirituel du pays dans une sorte d’idéalisme qu’on a pu trouver un peu vague, mais dont on ne saurait contester la générosité.

Mais le critique dont l’évolution intellectuelle et morale a été la plus décisive et la plus curieusement symbolique, c’est sans contredit Ferdinand Brunetière. « La science a perdu son prestige; et la religion a reconquis une partie du sien, » écrivait-il dans son célèbre article Après une visite au Vatican. Et comme pour confirmer cette idée par son propre exemple, voici que peu à peu, à partir de 1895, refaisant en sens inverse le chemin qu’il avait dû faire dans sa première jeunesse, il se détache, non pas de la science, comme on l’a trop dit, mais des idées que la science de son temps avait mises en honneur, et qu’il se rallie aux solutions que la religion traditionnelle a de tout temps proposées. C’est ce lent travail d’âme et de pensée que l’on peut suivre dans la série de ses Discours de combat. Et l’on notera qu’à mesure que Brunetière se refaisait catholique et qu’il devenait même apologiste, il combattait plus vigoureusement « les ennemis de l’âme française; » il tendait, peut-être avec quelque excès, à établir entre son catholicisme et son « nationalisme » une assimilation qui ne va pas sans danger. De ce danger, Brunetière a su finalement se garder par une adhésion plus intime aux croyances dont il avait, tout d’abord, surtout reconnu la bienfaisance sociale. Mais autour