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lui communiqua le texte d’un pacte très secret qu’il venait de conclure avec l’empereur d’Allemagne. Le comte Lamsdorf donnait à M. de Nélidoff le résumé très succinct du pacte, et faisait remarquer qu’en vertu de ses termes la France n’aurait plus pu compter sur l’aide russe dans une guerre contre l’Allemagne où elle aurait pour alliée l’Angleterre.

A défaut de la lettre du comte Lamsdorf, citons ici les termes employés par M. Isvolsky dans l’interview publiée par le Temps :

« Guillaume II présenta au Tsar un traité d’alliance défensive entre V Allemagne et la Russie. Ce traité était expressément dirigé contre la Grande-Bretagne. Il prévoyait l’adhésion de la République française et il attribuait à la Russie le rôle d’amener son alliée à se joindre aux deux empires. »

Depuis que le Temps publia ces lignes, les bolcheviks russes ont publié le texte même du traité secret de Bjoerkoe. Voici ce texte, tel qu’il a paru dans l’Excelsior du 31 décembre 1917 :

« Leurs Majestés impériales l’empereur de toutes les Russies, d’un côté, et l’empereur d’Allemagne, de l’autre côté, pour assurer la paix de l’Europe, se sont mis d’accord sur les points suivans du traité ci-après relatif à une alliance défensive :

« Article premier. — Si un État européen quelconque attaque l’un des deux empires, la partie alliée s’engage à aider son cocontractant par toutes ses forces de terre et de mer.

« Art. 2. — Les hautes parties contractantes s’engagent à ne pas conclure de paix séparée avec un ennemi quelconque.

« Art. 3. — Le présent traité entre en vigueur au moment de la conclusion de la paix entre la Russie et le Japon et doit être dénoncé avec un préavis d’un an.

« Art. 4. — Ce traité étant entré en vigueur, la Russie entreprendra les démarches nécessaires pour le faire connaître à la France et proposer à celle-ci d’y adhérer comme alliée.

Signé : NICOLAS. GUILLAUME.

Contre-signé : VON CZIRSKI (sic), comte BENCKENDORF [1],

Le ministre de la Marine, BIRILEFF. »

  1. Le comte Benckendorff, qui aurait contresigné à côté de von Tschirschky et de l’amiral Birileff le texte du traité, n’était autre que le frère unique de l’ambassadeur de Russie à Londres. Le comte Paulin Benckendorff, alors maréchal, plus tard grand maréchal de la cour russe, ne s’était jamais occupé de politique. Type accompli d’aide de camp fidèle de l’Empereur, il a toujours joui de la réputation d’un parfait gentleman ; il avait l’extérieur, les manières et la mentalité d’un aristocrate autrichien, d’un Croy qu’il était du côté de sa mère. Lui et son beau-fils, le prince Basile Dolgorouky, ont été dans ces derniers temps les seules personnes de l’entourage immédiat de Nicolas II qui partagèrent volontairement la captivité de l’Empereur à Tsarskoé-Selo.
    Il est très possible que le comte Paulin Benckendorff ait contresigné le texte du traité sans même en avoir pris connaissance. Mais même s’il l’avait connu, il n’en aurait jamais soufflé mot à son frère l’ambassadeur, avec lequel il était pourtant dans les meilleurs termes; sa parfaite correction l’en eût empêché.