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revient au camp et constate que beaucoup de ses camarades ont été expédiés dans les villages pour les travaux agricoles ; d’autres dans des mines de sel d’où ils reviennent rongés de furonculose. Les Allemands ont voulu faire travailler des mécaniciens français dans des usines de guerre et se sont heurtés à un refus catégorique. Passés pour cette cause en conseil de guerre, « les réfractaires » ont été condamnés à des peines variant de six mois à un an de cellule.


Juin 1915. — Des rumeurs courent le camp annonçant des « représailles. » Depuis quelques jours les journaux d’Allemagne fulminent contre la barbarie des Français. Ils leur reprochent de ne pas amener sous le doux ciel de France les Allemands capturés au Cameroun et qui restent internés au Dahomey. Alors le peuple allemand crie vengeance. Il faut, par des représailles terribles, épouvanter nos familles qui, affolées, affoleront à son tour notre gouvernement...

Toute sorte de renseignemens, d’ailleurs contradictoires, enserrent le camp d’une trame de mystère : on sent un inconnu gros de menaces. Dans les bureaux, on a vu des listes avec des signes cabalistiques devant certains noms. Le principe est de choisir ceux qui, par leur situation, par leurs parentés, peuvent faire pression sur l’opinion française. A cet effet, les bureaux de la censure postale ont fouillé dans leurs fiches de renseignemens, puisé dans nos correspondances, et fourni des noms. Les haines particulières vont avoir beau jeu.

C’est fait : les listes ont été établies, les « représaillés » sont désignés. Tout mon groupe en est, avec moi. A leur grande stupéfaction, les Allemands constatent qu’il y a des volontaires pour ce départ. Des camarades, des popotes ne veulent pas se séparer.

Alors une communication officielle nous est adressée. « Le gouvernement allemand ne peut tolérer plus longtemps les traitemens infligés à ses nationaux prisonniers en Afrique. Il use de « représailles. » Comme il ne peut nous expédier outre-mer, il va nous utiliser dans des contrées malsaines et marécageuses. Travail et régime seront proportionnés au résultat à obtenir. Dès à présent, nous pouvons écrire à nos familles, à nos amis influens, afin que, pour le bien de tous, les Allemands ne soient plus internés en Afrique. Ces lettres ne compteront pas dans le nombre réglementaire : nous pourrons